On le savait, mais de le voir aussi crûment exposé, officialisé judiciairement, ça fait désordre.

> En graphique: le parcours de l'influence

>Chronologie de l'affaire Catania-Zampino

Oui, ce matin, Montréal a bien l'air d'une ville corrompue jusqu'au sommet. Le numéro deux de la Ville jusqu'en 2008, Frank Zampino, était l'homme de chiffres, l'homme des opérations, celui qui gérait Montréal, tandis que le maire Gérald Tremblay paradait sur le devant de la scène.

Quand on voit que ce numéro deux est accusé en même temps que l'organisateur et collecteur de fonds du parti du maire, on en vient à se demander si ce parti n'a pas été créé... pour organiser la magouille. Pour la fusionner.

On ne parle pas de deux de pique, d'un égaré et d'un vague vendeur de cartes. On parle du grand orchestrateur de la gestion de la Ville, chef du comité exécutif, et de celui qui faisait entrer l'argent au parti du maire.

Ces gens-là, s'ils sont reconnus coupables, risquent de sérieuses peines d'emprisonnement, vu la confiance qui était investie en eux. Ce qu'on leur reproche n'est pas un égarement passager, mais la mise en oeuvre d'un complexe système de corruption bien prémédité. Un beau grand bateau municipal.

La vie, quand même...

Tout allait si bien pour eux, il y a cinq ans.

On s'appelait entre copains. On se faisait de petites sauteries nautiques. On apportait un peu d'ouvrage, pour régler des petits dossiers loin du bruit et de la sloche...

Tu viens sur le bateau de Tony? N'oublie pas tes souliers de marche...

Et on s'organisait magnifiquement pour se distribuer les contrats.

Fonctionnaires, entrepreneurs, boss de firmes d'ingénieurs...

C'était la fête au village de Montréal. Et le plus beau, ce benêt de maire ne voyait jamais rien. Qu'est-ce qu'ils ont pu rire de Gérald Tremblay! Mais rire!

Il n'y avait pas de limite. Le système était huilé à la perfection, les contrats grossissaient à vue d'oeil. Il y en avait pour tout le monde qui savait jouer.

Et hop, un autre petit tour de bateau entre organisateurs de magouilles et «concurrents» ...

Cinq ans plus tard, le yacht de Tony Accurso est à vendre et on les voit sortir du quartier général de la police à intervalles réguliers.

Tiens, Tony Accurso... Tiens, Paolo Catania... Tiens, Frank Zampino... Tiens, Bernard Trépanier, organisateur politique du maire et collecteur de fonds...

Après Tony Accurso à Mascouche, voici l'entrée en scène judiciaire de Paolo Catania. Les deux sont des géants de la construction dans la région de Montréal.

On sait combien les enquêtes sur ce genre de crime sont complexes: les complices entre eux ne se dénoncent pas, tout le monde a tiré profit du système. Les professionnels de la corruption ne s'envoient pas des chèques et racontent rarement leurs plans par écrit...

Bien hâte de voir le genre de preuve amassée par l'escouade Marteau. Quelqu'un a-t-il commencé à parler? Y a-t-il des preuves de virement d'argent? Qui seront les prochains à tomber?

Toutes ces accusations nuiront-elles à la commission Charbonneau? Elles poseront des obstacles juridiques à certains interrogatoires, mais fondamentalement, je crois qu'elles aideront la Commission.

Lors de la commission Gomery, on avait décrété des ordonnances de non-publication temporaires pour ne pas nuire à des affaires criminelles. On avait également évité certains sujets directement liés aux accusations qui pesaient sur certains témoins. On peut très bien faire la même chose ici.

Ça n'empêche pas de convoquer à la barre tous ces gens, leur poser des questions sur le système, leurs fréquentations douteuses, etc.

Les informations recueillies par la police peuvent également être partagées avec la Commission, ce qui lui fournira nombre de pistes.

Ça pourrait également en inciter quelques-uns à chercher une forme d'immunité ou d'entente, ou tout simplement donner à certains le courage de dénoncer les systèmes qui pourrissent les marchés publics et la vie démocratique dans bien des coins du Québec, et en particulier à Montréal.

D'autant plus que les arrestations présentes ou à venir auront un impact colossal sur des dizaines d'entreprises en construction ou dans le génie-conseil. Les actionnaires ne voudront pas tous passer à la trappe. Tout ce qui met de la pression sur les systèmes est donc susceptible d'alimenter la commission d'enquête.

Que ce soit par vertu tardive ou pour sauver sa peau, ça n'a pas grande importance. L'essentiel, c'est que le pacte du silence soit brisé par ceux qui savent.