Hier encore, SNC-Lavalin était une des entreprises les plus admirées au pays.

Ce matin, c'est tout juste si on ne s'interroge pas sur l'application de la loi antigang à son ancienne direction!

Faisons le compte des nouvelles des dernières semaines.

> Des paiements louches de 56 millions autorisés par la haute direction pour l'obtention de contrats en Libye.

> Un président, Pierre Duhaime, et un VP aux finances, Stéphane Roy, éjectés pour les avoir autorisés.

> Le VP responsable de toute la division construction, Riadh Ben Aïssa, emprisonné en Suisse, objet d'une enquête pour blanchiment d'argent et corruption.

> Des perquisitions de la police fédérale au siège social.

> Des allégations de corruption qui fusent de Tunisie et de Libye.

J'exagère à peine en parlant de la loi antigang. Une «organisation criminelle» est un groupe d'au moins trois personnes dont une des activités principales consiste à commettre des crimes graves. La corruption de politiciens ou de fonctionnaires, au Canada ou à l'étranger, est un crime grave, punissable de cinq ans d'emprisonnement.

Jusqu'ici, sauf Riadh Ben Aïssa, personne n'est accusé d'avoir participé à une activité criminelle.

Mais si ce type a trempé dans ce que la police suisse soupçonne, il a bénéficié d'une incroyable complaisance ou incompétence au plus haut niveau de SNC-Lavalin.

Lors du départ de M. Duhaime, la direction a vanté sa performance et son souci de l'éthique.

On ne l'a tout de même pas foutu à la porte pour rien!

Selon le Globe and Mail, un rapport interne a conclu que M. Duhaime avait violé le code d'éthique de SNC «à répétition» en autorisant ces paiements de 56 millions. Deux autres dirigeants avaient refusé de les autoriser.

Un manquement à l'éthique ou aux règles internes n'est pas un acte criminel, évidemment.

Mais comment ne pas être soupçonneux quand on sait que deux dirigeants ont refusé ces paiements mystérieux?

M. Ben Aïssa était très haut placé dans la direction. Comment le président aurait-il pu ignorer la nature de ces paiements à des «agents» ?

Autant de questions sans réponses.

Et voici l'ex-président qui quitte l'entreprise avec un chèque de 4,9 millions, décision censée être autorisée demain à l'assemblée annuelle des actionnaires.

Si M. Duhaime a été «relevé de ses fonctions» après la découverte de fautes d'éthique, pourquoi a-t-il droit à une indemnité?

Le gestionnaire Stephen Jarislowsky, dont la société détient le plus d'actions de l'entreprise, dit que le conseil d'administration n'a carrément pas fait son travail de surveillance, et que la direction faisait ce qu'elle voulait.

La Caisse de dépôt, deuxième actionnaire de SNC, déplore maintenant le «manque de transparence» de la firme. Mais en même temps, la Caisse annonce qu'elle approuvera les propositions de la direction, y compris cette prime de 4,9 millions pour un homme congédié pour des raisons qu'on ignore après des paiements dont on ne sait rien!

Ça n'a pas l'air de les troubler tant que ça, finalement, le manque de transparence...

Les reportages de ma collègue Isabelle Hachey en Libye et en Tunisie nous laissent entrevoir non pas un dérapage momentané, mais un véritable système de corruption organisée.

La commission d'enquête sur la corruption ouverte en Tunisie se penche notamment sur la manière dont SNC-Lavalin a obtenu un contrat de 320 millions pour une centrale thermique.

Des contrats de cette taille en Tunisie, sous le régime mafieux de Ben Ali, étaient systématiquement obtenus par corruption, disent les experts là-bas. Ce n'était guère plus propre sous la dictature libyenne, on s'en doute.

Les paiements douteux passaient par le bureau tunisien de SNC-Lavalin. Et la direction au siège social de la plus importante firme de génie-conseil au Canada n'en savait rien?

Qu'on nous permette d'avoir de sérieux doutes.

Si ces faits sont assez graves pour faire partie d'une commission d'enquête en Tunisie, ils justifient une enquête policière au Canada.

Le Canada a signé les pactes contre la corruption et adopté une loi sur la corruption des agents étrangers par les sociétés canadiennes.

Quand on ajoute cette affaire majeure aux pratiques frauduleuses de firmes québécoises exposées récemment dans des enquêtes de corruption municipale, c'est tout le domaine du génie-conseil québécois qui se trouve sous un nuage.

J'ai hâte que certains expliquent devant la commission Charbonneau comment ils s'y prenaient pour obtenir des contrats publics. Et comment faire le ménage d'un domaine qui devrait nous rendre fiers.