Le pouvoir et la démographie, au Canada, se déplacent irrésistiblement vers l'Ouest. Ce qui s'est passé lundi n'en est qu'une illustration décalée.

Les pays sont comme les gens. Ils changent sans arrêt. Mais quand on vit avec eux, au jour le jour, il n'y paraît pas vraiment.

Puis on regarde l'album de photos de l'an dernier ou d'il y a 10 ans, et on n'en revient pas.

Les élections nous réservent des surprises parce qu'on pense toujours en dessiner les résultats en regardant de vieilles photos. On est toujours en retard.

Les élections sont déclenchées, on demande aux Canadiens pour qui ils voteraient. Ils viennent à peine de voter, alors ils ont plus ou moins changé d'idée. En fait, ils n'y ont guère porté attention.

On en conclut à la lumière de ces réponses que les résultats seront à peu près les mêmes.

Et au photo-finish, on se retrouve avec un gouvernement majoritaire conservateur qui ne compte que six députés au Québec (une première historique), la destruction virtuelle du Bloc québécois (invisible à l'oeil nu), les libéraux aux objets perdus et la transfiguration d'un «tiers parti» en opposition officielle.

Ce n'était pas dans l'album de l'année dernière...

Mais cela se préparait sans qu'on s'en aperçoive.

Le Bloc n'était plus aussi fort qu'il nous le semblait. En 2000, il n'avait fait élire que 38 députés, et quand Jean Chrétien a laissé sa place à Paul Martin, un vent de réconciliation a soufflé. On s'interrogeait sur la pertinence du Bloc et... bang! Les commandites ont tué les libéraux, requinqué le Bloc.

On avait cessé de poser les questions difficiles... Mais dans la mesure où le Québec ne paraît pas au bord de l'indépendance, peut-on se maintenir en perpétuel état de revendication «nationale» à Ottawa?

Les Québécois ont changé de ton. Le Bloc était fragile, mais ça ne se voyait pas.

Le nouveau genre de conservateurs, ceux de Stephen Harper, avec des racines populistes dans l'Ouest, pouvait avoir un attrait dans les régions, dans les banlieues... Mais jamais dans les grands centres urbains!

Ils ont réussi des percées à Toronto, en plus de remporter les trois quarts des sièges de l'Ontario. À Vancouver aussi, aidés par le NPD, ils ont fait des percées.

On ne peut plus dire que ce soit un parti de l'Ouest et des régions rurales.

Le PCC est le résultat d'une fusion entre l'Alliance (ex-Reform) et l'ancien Parti progressiste-conservateur. Ses assises demeurent dans l'Ouest.

Quand les Albertains (et plusieurs conservateurs de l'Ouest) se sont révoltés contre les conservateurs de Brian Mulroney et qu'ils ont fondé le Reform, on les a accusés d'être séparatistes. De vouloir détruire le Canada. Les vieux partis qui ont «fait» le Canada ne le prenaient pas.

Preston Manning, chef réformiste, avait choisi un slogan pour répliquer à ces attaques: The West Wants In. Autrement dit: c'est vous qui nous excluez du pouvoir, nous voulons en être!

Après quelques essais - et quelques succès régionaux fulgurants -, le Reform a bien vu qu'il était incapable de franchir la frontière du Manitoba et de l'Ontario.

D'où l'Alliance, puis la fusion.

Le PCC a beaucoup changé et, pour conquérir l'Ontario, s'est passablement recentré. Stephen Harper a conservé plusieurs marottes en matière de sécurité publique, notamment. Mais sa défense du système de santé publique, son abandon des débats sur le mariage gai, l'avortement ou la peine de mort l'ont rendu présentable aux conservateurs de l'Est.

Les fondements historiques et idéologiques de ce parti se trouvent néanmoins à Calgary. Il y aura des compromis, mais pas cette trahison qu'ils ont sentie sous les progressistes-conservateurs.

Pour la première fois peut-être, l'Ouest est réellement et pleinement au pouvoir.

Ce n'est qu'un reflet du déplacement du pouvoir économique canadien.

L'Ontario, même avec ses 13 millions d'habitants, croît moins vite que la moyenne nationale depuis plusieurs années.

L'Ouest, de son côté, attire des citoyens de tout le reste du pays. Depuis 10 ans, c'est la population de l'Ouest qui croît le plus vite, en particulier celle de l'Alberta, à plus de 2,5% par année. Au bout de 10 ans, on flirte avec une augmentation du tiers...

Il n'y a qu'à regarder des photos aériennes de Calgary pour en avoir une idée.

Mais déjà, la photo d'hier ne nous montre que le passé...

Ce pays a beaucoup changé, mine de rien. Le XXIe siècle canadien se passera bien plus à l'Ouest. Il lui ressemble déjà un peu plus...

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert @lapresse.ca