J'espère que la confrérie ne m'en voudra pas trop, mais je n'irai pas déchirer ma chemise pour le droit inaliénable des médias à courir après les témoins dans les palais de justice.

Vendredi, la Cour suprême a rejeté à l'unanimité les arguments de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et de plusieurs médias (dont le groupe Gesca, propriétaire de La Presse), qui contestaient une série de restrictions au travail journalistique.

Le fameux procès de Dave Hilton, qui a attiré en 2004 un nombre record de journalistes et de caméras, plus quelques cohues, a traumatisé l'appareil judiciaire. On ne voulait pas que le palais de justice devienne un «cirque» et qu'on joue au rugby avec les témoins. Les juges de Montréal puis le ministère de la Justice ont donc fait adopter des règles qui confinent les photographes et les caméramans à des espaces bien précis sur chaque étage. Ils sont placés derrière des cordons et ne peuvent plus circuler dans les couloirs.

La plupart des collègues faisaient leur travail avec respect pour les témoins, mais les règles sont surtout faites pour les imbéciles et les malotrus, comme chacun sait. D'où, donc, cette règle provoquée par quelques cas exceptionnels.

En ce qui me concerne, je n'y vois aucune atteinte sérieuse à la liberté de la presse. C'est de l'ordre de l'inconvénient, au pire. Les témoins ont le droit à une certaine quiétude en se rendant à la salle d'audience. Je n'ai jamais pensé qu'une contestation constitutionnelle de cette règle avait la moindre chance de succès. En Ontario, il n'est même pas permis d'entrer dans le palais avec une caméra.

La règle est donc confirmée.

La voix des témoins

Deuxième règle contestée par les médias: il est interdit de reproduire l'enregistrement sonore des débats en salle d'audience.

Tous les procès sont enregistrés, pour conserver la preuve - autrefois, on avait recours à des sténographes. Des médias ont utilisé ces enregistrements pour diffuser certains extraits sonores, s'autorisant d'un trou dans le règlement. La Cour supérieure a bouché ce trou pour l'interdire clairement, ce que les médias contestaient.

Encore là, la Cour suprême rejette totalement les arguments des médias. Ces extraits sonores amélioreraient la qualité des reportages, mais ce serait une forme d'atteinte à la vie privée des témoins, écrit la juge Marie Deschamps. Les témoins sont censés s'exprimer dans une salle d'audience, pas à la télévision. Cela aurait un impact sur les témoignages, en particulier des gens les plus vulnérables, dont le stress serait accru du fait de savoir que leurs propos pourraient être répercutés partout dans les médias.

C'est un argument valable pour un grand nombre de témoins. Mais qu'en est-il des policiers? Des juges? Des avocats? Pourquoi cette règle s'appliquerait-elle de manière absolue, y compris à des professionnels de la justice? Le ton de la voix est une information, et rapporter les propos plutôt que de les faire entendre est évidemment moins précis. Normalement, la Cour suprême n'aime pas les règles sans nuances. Mais ici, elle n'y voit qu'une atteinte raisonnable à la liberté de la presse.

C'est décevant. Remarquez bien, je n'y vois pas une perte terrible pour l'information. C'est une règle qui s'applique partout ailleurs au Canada.

En passant, ce que ce jugement nous indique, au cas où certains médias se feraient des illusions, c'est que la magistrature canadienne est encore totalement réfractaire à une éventuelle télédiffusion des procès. Si ça s'applique pour le son, imaginez l'image...

La Cour suprême a trouvé le moyen de citer une étude qui parle du procès O.J. Simpson, cet épouvantail médiatico-judiciaire qui clôt généralement les discussions entre gens de justice sur cette question au nord des États-Unis. C'est encore plus efficace que de parler de Staline pour repousser le communisme.

Non, vraiment, collègues de la télé, oubliez ça, ce sera pour un autre siècle.

Diffuser les interrogatoires

La même journée, la Cour suprême a rejeté une requête de Radio-Canada et TVA qui voulaient diffuser l'interrogatoire de police de Stéphan Dufour, qui avait aidé son oncle à se suicider au Saguenay. Le juge du procès avait refusé, arguant que c'était du même ordre qu'un témoignage.

La Cour suprême n'est pas d'accord sur ce point: les pièces à conviction (l'enregistrement vidéo d'une confession en est une) ne sont pas des témoignages: il est permis de les diffuser. Mais le juge a également le droit de refuser cette diffusion. Or, «la protection des personnes vulnérables» pourrait permettre de refuser une telle diffusion. Dufour, qui a été acquitté, est un déficient intellectuel qui serait particulièrement affecté par la diffusion de cet interrogatoire.

J'avoue encore ici partager cet avis. Que les journalistes aient un accès illimité aux pièces, cela va de soi, les débats judiciaires sont publics. Mais il y a des cas où leur diffusion est contraire à l'intérêt public - et aux droits de bien des gens.

Je pense aux photos du colonel Russell Williams en dessous féminins volés à ses victimes. Si j'avais été le juge, j'en aurais interdit la diffusion. Il y avait là-dedans une sorte d'écho répugnant des viols d'intimité et des viols tout court qui aurait dû rester dans les dossiers de la cour.

Pourvu que la FPJQ ne m'enlève pas ma carte de presse...