C'est vrai qu'il n'a pas l'air d'un flic. C'est vrai aussi que s'il avait vécu son adolescence de bum à Montréal plutôt qu'à Saint-Casimir, il ne le serait jamais devenu.

Alain Lacoursière, qui s'est fait connaître pour ses enquêtes dans le milieu de l'art, s'est fait surnommer le Columbo de l'art. On ne verrait pourtant pas Columbo courir dans les rues du Plateau en échangeant des coups de feu avec un braqueur. Le sergent-détective a beau frayer dans les galeries à la mode et s'habiller comme un prof de design, c'est un mélange original de Dirty Harry mâtiné de police communautaire.

Lacoursière a pris sa retraite au printemps. Il est maintenant expert en oeuvres d'art.

Son parcours n'est pas de ceux qu'on donne en exemple à l'école de police. Il offre pourtant un sens bien concret au mot réhabilitation. Comme enquêteur, il ne s'est pas contenté de montrer l'importance économique et culturelle des crimes liés aux arts. Il a mis en relief les liens qui unissent le crime organisé aux fraudeurs et voleurs du milieu. Lacoursière laisse derrière lui une petite équipe de trois policiers bien formés, une expertise et des outils informatiques qu'il a largement créés lui-même.

Un beau bum, en vérité.

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Le journaliste Sylvain Larocque raconte la vie et l'oeuvre de ce policier hors normes dans un livre qui paraît jeudi*.

À 15 ans, il conduisait évidemment sans permis, il expérimentait toutes les drogues sur le marché et a fondé «les Possédés», un club de motards finalement tombé dans le giron des Hells... Il a fallu que sa mère aille le chercher dans leur «repaire» pour l'en sortir - jamais bon pour devenir «full patch», ça.

À l'école, on ne sait plus trop quoi faire avec lui. Un frère décide de l'initier à la peinture. Il n'est pas sans talent. Il était particulièrement fier de son Christ fumant un joint, une scène jamais répertoriée dans l'histoire de l'art jusque-là. Le frère avait d'autres vues...

Lacoursière se redresse, aboutit à l'école de police, puis au service de police de Trois-Rivières Ouest comme répartiteur, et à Nicolet. «Il y avait trois policiers à Nicolet, ils n'ont pas dû faire une grosse enquête sur moi... Mais maintenant, avec l'informatique, j'aurais eu des gros problèmes avec mon passé si je voulais être embauché», dit Lacoursière.

Il se retrouve à la police de Montréal en 1985.

Dès le départ, Lacoursière comprend comment se servir des médias... et les manipuler à l'occasion. Notamment en faisant étalage de ses bons coups pour convaincre ses patrons récalcitrants de l'efficacité de méthodes. Il allait s'adresser à des groupes de fêtards avant leur sauterie annuelle pour prévenir les dégâts. Il était en contact avec les jeunes de la rue. Il faisait du communautaire sans le titre.

C'est pourtant le même policier qui a laissé mettre le feu à un campement de sans-abris dans le centre-ville, d'après lui un regroupement de pushers et de junkies contrôlé par les motards. Je dis «laisser», mais le livre nous laisse penser qu'il pourrait y avoir mis le feu lui-même! La Ville ne voulait pas que la police démantèle le campement pour des raisons d'image. Un incendie opportun a réglé le cas...

En 1991, quand il est enquêteur à la moralité et lutte contre les bars clandestins, on le voit à la télé déclarer que la mafia contrôle la vie politique à Saint-Léonard. Le maire Frank Zampino n'a pas apprécié. Lacoursière refuse de présenter ses excuses - un cadre le fera.

On le retrouve en 1992 en train de feuilleter un roman de George Sand chez Champigny, rue Saint-Denis, avec un collègue lui aussi en civil. Un hold-up! Lacoursière et le collègue sortent leur .38 et Lacoursière court après un des voleurs dans les rues du Plateau. Il se fait tirer dessus plusieurs fois et réplique. Miraculeusement, personne n'est blessé.

En 1995, il est suspendu deux semaines pour avoir tiré deux balles sur un raton-laveur avec son arme de service. L'animal, enragé, attaquait son chien et ne voulait pas fuir.

Bien des cadres veulent sa tête... Mais rien à faire. Rien d'assez grave. Et puis, cet enquêteur sérieux s'était fabriqué un joli bouclier médiatique...

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Sur les entrefaites, il fait un bac en histoire de l'art, devient copain avec le peintre Serge Lemoyne et entre dans le milieu. Ses patrons décident de laisser le champ libre à ses enquêtes sur les vols et recels d'oeuvres, sur les fraudes, les ventes de faux, les arnaques en tout genre.

En plus de créer une expertise et des outils d'enquête repris en Europe, Lacoursière a su démontrer la dimension de cette criminalité, ses liens avec les réseaux criminels. Un faux peut cacher une opération de blanchiment. Et comme Lacoursière a toujours su faire parler de lui, l'organisation (Montréal ou la SQ) l'aimait soudain un peu plus...

On voit dans ce livre qu'il a travaillé souvent à la limite de la loi, emprisonnant parfois un fraudeur et trouvant les motifs après. On voit aussi qu'il s'est employé à trouver des arrangements maison pour récupérer des oeuvres, les remettre aux artistes ou aux propriétaires, plutôt que d'obtenir une condamnation à tout prix. Justice réparatrice sans l'étiquette.

On voit surtout, finalement, que les organisations ont besoin de non-conformistes pour évoluer, pour changer leurs façons de faire. Ça passe par des emmerdeurs souvent, et des gens qui ont leur propre interprétation de la loi et de l'ordre. Même dans la police...

* Alain Lacoursière, le Columbo de l'art, Flammarion.