Et puis d'abord, qu'est-ce que c'est, la culture? André Malraux, qui a écrit sur l'art toute sa vie, a été le premier ministre français des «Affaires culturelles», en 1959.

Il écrit dans Le miroir des limbes qu'il avait sur ses collègues ministres l'avantage d'être le seul à ne pas savoir ce qu'est la culture.

Acheter des «biens culturels», consommer des «produits culturels», cela contribue sans doute à fabriquer un être culturel. Mais cultivé?

Je ne suis pas certain qu'un gros acheteur de livres est nécessairement plus cultivé que cet homme de Port-au-Prince dont parle Dany Laferrière dans L'énigme du retour. Les flics étaient venus saccager sa bibliothèque, sous prétexte qu'elle contenait des livres communistes. Il ne lui est resté qu'Alcools, d'Apollinaire, parce qu'il l'avait toujours avec lui. «Il ne s'est jamais dégrisé d'Apollinaire.» Il y a de quoi se saouler pour longtemps dans ces cent quelques pages.

Laferrière, lui, reliseur d'Aimé Césaire, raconte qu'il achète des livres sans arrêt, mais confesse qu'il lui reste à lire la moitié de sa bibliothèque.

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Tout ça pour dire que ces palmarès en disent long sur l'économie culturelle, pas tellement sur la culture.

Il nous indique tout de même deux ou trois trucs. D'abord, s'il y a au Québec une phénoménale production culturelle, si l'État (provincial et fédéral) dépense ici plus que n'importe où ailleurs au Canada pour la culture... ça ne veut pas dire que les gens en consomment davantage.

Ensuite, toutes les enquêtes le montrent depuis longtemps, les Québécois achètent moins de livres, fréquentent moins la bibliothèque, lisent moins tout court. Ils sont aussi moins nombreux à fréquenter les salles de spectacles et les musées que les Canadiens en général. En même temps, on leur fournit aux frais de l'État, comme nulle part ailleurs, des spectacles gratuits en quantité et en qualité. Ceci explique un peu cela. Mais juste un peu.

Tout de même: résumer la qualité culturelle d'une ville par la consommation de ses citoyens, c'est un peu court. J'arrive de Saskatoon, ville d'à peine 250 000 habitants. C'est bien charmant, on y trouve une université moyenne (20 000 étudiants) apparemment dynamique, même leader dans certains domaines, qui occupe une grande place dans la vie de la ville. Mais la placer au sommet du Canada culturel? C'est sympathique et ils seront bien fiers d'afficher le palmarès à l'hôtel de ville. Voyons, soyons sérieux...

Une capitale culturelle est aussi un endroit où l'offre culturelle est riche et à ce chapitre-là, on a beau aimer le musée consacré à John Diefenbaker, le musée ukrainien ou celui du chemin de fer, on ne peut pas comparer ça à ce qui se passe à Montréal, ni à Toronto, ni à Québec d'ailleurs.

Une des fonctions de cette offre culturelle, c'est du moins ainsi qu'on raisonne pour justifier en partie le financement public, c'est précisément d'attirer les autres, pas seulement le public local. Aux dernières nouvelles, ça ne fonctionne pas trop mal de ce côté à Montréal. Les touristes culturels sont une denrée plutôt rare à Saskatoon et à Sudbury.

Il reste qu'à tous ceux qui pensent que les Québécois sont des passionnés de culture et d'art, et, surtout, cliché répandu, plus que dans le reste du Canada, ces données seront peut-être un appel à la modestie. Et à l'effort. La culture est une quête, pas un trophée.