Il y a eu une autre commission que celle du juge Cliche sur l'industrie de la construction. Ou disons un bout de commission d'enquête. C'est celle du juge Robert Lesage sur le fiasco du chantier de la Gaspésia, qui a rendu son rapport en 2005.

Le juge Lesage et les trois commissaires se sont penchés sur un chantier bien particulier, à Chandler, où le Fonds de solidarité de la FTQ et la SGF ont tenté de relancer une usine de papier.

En relisant certains passages sur les pratiques syndicales, on est frappé par les similitudes avec les récits de travailleurs de la Côte-Nord au sujet des gros bras de la FTQ-Construction qui menacent les syndiqués des autres centrales et les employeurs.

Là aussi, la FTQ-Construction réclamait l'exclusivité du chantier, notamment sous prétexte que le Fonds de solidarité en était l'un des actionnaires.

On pouvait lire ceci dans ce rapport: «Le pouvoir économique exercé par la FTQ, par le truchement du Fonds, ne cherche-t-il pas à réaliser le monopole sur les chantiers de construction au Québec, ce qui est l'objectif avoué de dirigeants de la FTQ-Construction et du Fonds, comme Jean Lavallée?»

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Le rapport, écrit après une enquête de plusieurs mois, raconte que les employeurs avaient perdu toute autorité. Le mot d'ordre envoyé aux sous-traitants était de se plier aux exigences syndicales pour sauvegarder de «bonnes relations».

Les «agents d'affaires» du comité paritaire qui plaçait les ouvriers dominaient totalement le chantier. Les entrepreneurs achetaient la paix et se trouvaient ainsi à «perpétuer l'iniquité pour l'ensemble des travailleurs et l'inefficacité pour les entreprises québécoises».

Le juge Lesage ajoute que Papiers Gaspésia n'était pas complaisante seulement avec les représentants syndicaux, mais également avec le Fonds, «qui avait fourni sa liste d'entrepreneurs à qui adresser des demandes de soumission». Ces entrepreneurs «recevaient une considération particulière».

«L'investissement du Fonds ne peut justifier d'écarter indûment les soumissionnaires qui ne sont pas liés au Fonds, mais qui y contribuent eux-mêmes indirectement par leurs impôts», dit le juge Lesage.

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La commission a noté quelques incidents qui rappellent ceux qui ont été relatés à l'émission Enquête de Radio-Canada cette semaine. D'abord, entre 100 et 200 travailleurs de la FTQ ont empêché les employés d'un couvreur d'accéder au chantier parce qu'il y avait parmi eux trop de syndiqués CSD. Papiers Gaspésia a ordonné à l'employeur de se plier aux exigences de la FTQ-Construction, c'est-à-dire d'embaucher assez de gens du bon syndicat. Les travaux ont pris un mois de retard, pendant lequel l'usine a été sans toit, en plein hiver...

L'entrepreneur a été obligé de céder.

Un peu plus tard, les 400 travailleurs du chantier sont allés chercher le contremaître dans sa roulotte pour l'expulser du chantier. L'homme, laissé à lui-même, a appelé la police, qui n'a pas réussi à calmer les ouvriers. C'est finalement un délégué syndical arrivé par hasard qui les a calmés.

Apparemment, ce contremaître insistait un peu trop pour qu'on embauche d'anciens employés gaspésiens de l'usine. Il est sorti, escorté par la police, et le syndicat a définitivement imposé sa loi - avec la bénédiction de l'employeur, remarquez bien. Le chantier, où l'on ne travaillait que six heures sur huit, n'a jamais été terminé.

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Pour bien fonctionner, donc, les grands chantiers de construction doivent fonctionner selon la règle syndicale. Sinon, ça va mal. La FTQ-Construction n'est pas seule à jouer ce jeu.

On aura remarqué que la CSN a demandé que le placement des travailleurs soit confié à un organisme indépendant, mais non le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, deuxième syndicat en importance dans le secteur pour le nombre de travailleurs qu'il regroupe. Il est aussi très bien servi par ce système.

En principe, pourtant, l'appartenance syndicale devrait se décider démocratiquement. Mais avec ce qu'on voit sur la Côte-Nord, et après avoir vu si bien exposé le système lors du fiasco de la Gaspésia, on est très content d'entendre le président de la FTQ, Michel Arsenault, nous dire qu'il est contre l'intimidation. Des gestes «isolés» mais étonnamment répétitifs...

Pourtant, rien n'a été fait pour y mettre fin. Et ce ne sont pas quelques enquêtes policières qui changeront ce système.