Taxer la malbouffe: voilà la nouvelle trouvaille pour combattre l'obésité. Le nouveau mot d'ordre santé qui rallie tous les amateurs de bons sentiments. Eh, moi aussi!

L'idée est simple: à défaut de les faire maigrir, on fera payer les gros.

À un moment donné, ils en auront assez de payer leur Coke 5$ et ils boiront du lait de soya.

Fallait y penser!

 

C'est ainsi que la taxe sur les aliments mauvais dirigera le consommateur comme un somnambule vers les bonnes tablettes au magasin d'alimentation.

Il n'y a que quelques pas, après tout, entre le rayon des chips fluo et celui du quinoa bio.

Bien sûr que le prix influence la consommation. Augmenter radicalement le prix des cigarettes a eu deux effets: diminuer sensiblement la consommation et faire fleurir le marché noir.

Verra-t-on des vendeurs d'Orange Crush sur le bord des routes à Kahnawake? Je ne sais pas. Mais ce qu'on sait encore moins, c'est ce que les consommateurs feraient s'ils achetaient moins de boissons gazeuses. Parce qu'on peut se passer de fumer, mais pas de boire et de manger.

Que dites-vous? Il suffit que les gens consomment moins? Sans doute. Mais quel pourcentage de taxation de la malbouffe produira l'effet escompté? Une étude de Yale conclut qu'une augmentation de prix de 10% fait diminuer la consommation de 8%. Les gens mangent-ils mieux pour autant? Pas sûr.

Dans l'article de Stéphanie Bérubé paru hier, une porte-parole de la Coalition Poids disait qu'il suffirait de taxer de 5 cents chaque litre de boisson gazeuse. On amasserait ainsi 40 millions par année... pour faire de la prévention en matière d'obésité.

Assurément, cela ferait vivre plein de spécialistes de la prévention. Mais la bouteille de 2 litres que je vois là coûterait 2,09$ au lieu de 1,99$ et vous me dites que les gens en consommeraient moins?

On peut bien les taxer, mais qui va payer? Ceux qui consomment de la malbouffe. Or, ça tombe mal, c'est en général les gens les plus pauvres.

Idéalement, réplique une prof de Yale, il faudrait non seulement taxer la malbouffe, mais subventionner les fruits et légumes. Les gens passeraient donc mieux de la mauvaise nourriture à la bonne.

Il n'y a pas seulement le coût, au fait. Personne, apparemment, ne s'est demandé si des gens peuvent manger de la malbouffe parce qu'ils aiment ça. On nous dira que le problème n'est pas d'en manger, mais d'en manger trop. D'où l'idée de campagnes de prévention et d'éducation.

Je vois d'ici le ministère de la Nourriture qu'on est en train de nous dessiner. Le Fonds d'éducation nutritionnel, l'Observatoire des gras trans, les programmes d'aide aux mangeurs de légumes... Eh, la patate est un légume!

Pendant ce temps-là, le système complètement débile de l'agriculture mondiale continue sa course folle.

Aux dernières nouvelles, les États-Unis subventionnent l'agriculture à hauteur de 300 milliards de dollars. Barack Obama a dit qu'il n'était pas question de remettre en question ces subventions: des États entiers en vivent.

Laissons de côté les plus graves effets de ces subventions sur les productions d'autres pays. Isolons seulement un truc. Le maïs.

Avec le maïs, on fait du sirop. Et c'est avec ce sirop qu'on sucre les boissons gazeuses. Son prix a augmenté ces dernières années à cause des programmes insensés de l'administration américaine concernant l'éthanol. Mais au cours des deux décennies précédentes, ce sirop subventionné a permis de faire diminuer de 30% le prix des boissons gazeuses.

D'un autre côté, pour protéger notre agriculture, on maintient au Québec un prix du lait artificiellement élevé. On dira que c'est pour toutes sortes de bonnes raisons et c'est largement vrai. Le fait est que le prix du lait augmente et que celui du Pepsi diminue. Et dans les deux cas, sous l'influence de mesures gouvernementales agricoles.

Et à l'autre bout de ce cycle de production, quand les produits arrivent sur les tablettes, on va maintenant demander aux gouvernements de taxer certains trucs et de subventionner toute une autre rangée d'aliments?

Tout ça pour rééquilibrer un système perverti au départ par les subventions agricoles?

Je serais bien étonné qu'on règle par une taxe magique ce qu'on a désappris et ce qu'on doit réapprendre par l'éducation et une bonne politique agricole.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca