Si les familles des victimes dans l'affaire Villanueva veulent une commission d'enquête, il y a une bonne façon de l'obtenir: participer à l'enquête du coroner.

C'est là qu'ils pourront faire la démonstration de la nécessité d'une éventuelle enquête, plus en profondeur.

Maintenant que Jacques Dupuis a été forcé tardivement d'admettre qu'il avait tort, maintenant qu'il s'engage à payer les honoraires d'avocats non seulement de la famille Villanueva, mais aussi des deux autres jeunes qui ont reçu une balle policière pour la durée du processus, cette enquête devrait commencer.

 

Le juge Robert Sansfaçon, qui agit comme coroner, a les mêmes pouvoirs qu'un président de commission d'enquête, et même davantage à certains égards.

Il peut forcer des témoins à comparaître, il peut exiger des documents, il peut faire lancer des mandats d'arrêt et même faire détenir des témoins.

La Loi sur les causes et les circonstances des décès donne aux personnes «intéressées» le droit de contre-interroger tous les témoins et de faire venir leurs propres témoins à la barre. Si le coroner refuse d'entendre certains témoins, il est tenu de motiver son rejet.

Et puis, l'article 3 de la loi autorise le coroner à faire «toute recommandation visant une meilleure protection de la vie humaine».

Il va de soi que les rapports entre la police et les minorités touchent directement à la protection de la vie humaine. Il y a donc là de l'espace pour faire entendre ce qu'on a à dire sur le sujet.

Si la preuve démontre une crise grave dans les relations entre les citoyens et la police, le coroner peut fort bien lui-même recommander la tenue d'une commission d'enquête.

Depuis le début, les familles impliquées dans l'événement fatal du 9 août 2008 sont aussi inflexibles que le ministre l'était jusqu'à hier. Elles ont tort, mais elles ont leurs raisons. Leurs avocats ont tort davantage... et n'ont pas raison d'avoir tort.

Ces avocats ont aussi la responsabilité de saisir l'occasion pour ceux qu'ils représentent. Il y a un compromis honorable qui s'offre à eux, tant dans l'attitude forcée du ministre Dupuis que dans l'ouverture plus nette du juge Sansfaçon.

La stratégie de confrontation des avocats des familles est malavisée pour deux raisons.

D'abord, au cas où ils l'ignoreraient, l'opinion publique n'est pas du tout favorable à la tenue d'une commission d'enquête. Je publierais un échantillon des courriels que je reçois sur le sujet, c'est à faire peur: que faisaient ces petits bums dans la rue, les gangs de rue sont en arrière, etc.

Je ne dis pas, bien entendu, qu'il faut se fier aux commentaires de taverne pour décider de la pertinence d'une enquête. Je dis que si le sujet le justifie, il faut préparer le terrain pour rendre nécessaire politiquement et socialement une telle enquête.

Et l'enquête Sansfaçon est la bonne manière de plaider cette cause. Car en ce moment, Québec n'est pas du tout intéressé à bouger.

L'autre raison, c'est que ce braquage est une manière de jouer avec le feu et d'accroître les tensions sociales. Ça commence à être une tentative de faire capoter le processus. Ça commence à ressembler à du chantage. Mauvaise idée. Dangereuse idée.

Je ne blâme pas les familles là-dedans. Si mon fils avait reçu une balle, ou si mon enfant sans arme était mort en recevant deux balles d'un pistolet de policier, je me donnerais le droit de dire qu'il a été «assassiné». Je serais révolté et je n'aurais aucune confiance dans tout ce qui pourrait ressembler à l'appareil judiciaire.

Le rôle des avocats est de trouver pour leurs clients le meilleur véhicule possible pour que soit entendue cette rage et que soient examinées correctement les questions que la police et le gouvernement veulent éviter.

Pas le meilleur véhicule possible dans un monde idéal. Le meilleur possible dans les circonstances du moment.

Or, s'ils continuent avec cette stratégie sans compromis de l'enquête ou rien, ça risque fort d'être «rien». Ils donneront alors raison au ministre Dupuis, à la police et à tous ceux qui ne veulent rien, mais vraiment rien entendre et je crois qu'ils sont la vaste majorité au jour d'aujourd'hui.

On aura tous perdu cette importante occasion, mais cette fois, ce sera beaucoup leur faute.

yves.boisvert@lapresse.ca