Je commence par des excuses. Dans ma chronique d'hier, je n'ai pas rendu fidèlement le témoignage de Brian Mulroney, en 1996, au sujet de ses liens avec Karlheinz Schreiber.

La question de savoir si M. Mulroney a dit la vérité au cours de ce témoignage est une des interrogations au coeur de la commission d'enquête Oliphant. Il en a été question hier et, une fois de plus, M. Mulroney a dit qu'il avait donné des réponses parfaitement honnêtes pendant cet interrogatoire sous serment. On en jugera.

 

Il a reproché aux médias (dont moi) d'avoir sorti de son contexte ou déformé un passage clé de ce témoignage, celui où il dit «I had never had any dealings with Mr Schreiber».

J'ai traduit incorrectement ce passage comme voulant dire qu'il n'a jamais eu affaire à M. Schreiber. M. Mulroney signale qu'il parlait au plus-que-parfait dans le contexte d'un interrogatoire sur l'affaire Airbus. Il fallait donc comprendre, dit-il, qu'il n'avait jamais eu affaire à M. Schreiber en rapport avec l'affaire Airbus.

Mais pour autant, on peut difficilement croire qu'il a été transparent sur le sujet de ses relations.

Voici des extraits de l'interrogatoire, mené par l'avocat Claude-Armand Sheppard, qui représentait le gouvernement, le 17 avril 1996. La traduction est de moi (mais on peut lire la transcription complète de cette journée à www.cbc.ca/fifth/moneytruthandspin/transcript_april17.pdf).

Question: «Avez-vous maintenu le contact avec M. Schreiber après avoir cessé d'être premier ministre?»

Réponse: «Bien, de temps en temps, pas très souvent, quand il passait par Montréal, il m'appelait. Nous allions prendre un café, je crois, une ou deux fois. Et il me disait qu'il continuait à pousser sur son projet (Bearhead), qu'il tentait de convaincre le nouveau gouvernement.»

M. Mulroney ne parle pas de ses visites dans des chambres d'hôtel ni du fait qu'il avait un mandat pour veiller aux intérêts de M. Schreiber contre des avances de 225 000$. Quand il le rencontre au Reine-Élizabeth, c'est pour parler politique et affaires, 30, 40 minutes. On sait maintenant qu'il y a eu un versement.

Plus loin, l'interrogatoire de 1996 se poursuit et M. Mulroney parle de l'affaire Airbus. On sait que M. Mulroney poursuivait le gouvernement fédéral et la GRC à hauteur de 50 millions, pour les allégations non fondées à son sujet contenues dans une demande d'entraide aux autorités suisses. En particulier, on alléguait que M. Mulroney avait reçu des commissions secrètes de l'avionneur (le gouvernement s'est excusé et la GRC a clos son enquête après des années en disant qu'il n'y avait aucune preuve de cela). L'interrogatoire servait à préparer la défense du gouvernement dans cette poursuite de M. Mulroney.

«Ce qui me préoccupait, dit M. Mulroney en 1996, dans la mesure où je n'avais jamais entendu parler du sujet d'Airbus de ma vie, ce qui me préoccupait étaient les faussetés extraordinaires et les injustices qui me mettaient en cause. (...) Comment cela pouvait-il arriver au Canada? (...)

«Et le fait que M. Schreiber ait pu ou pas avoir des transactions d'affaires (business dealings) de quelque sorte que ce soit n'était pas ma principale... Ma principale préoccupation. Je n'avais jamais eu aucune transaction avec M. Schreiber (I had never had any dealings with Mr Schreiber).»

Pour M. Mulroney, il est clair que cette phrase n'est pas générale, mais réfère directement à de possibles transactions entre M. Schreiber et lui uniquement au sujet d'Airbus. On en jugera également.

C'est peut-être clair pour Brian Mulroney, mais ça ne l'est pas pour tout le monde.

Même en admettant l'interprétation de M. Mulroney, il n'a pas été complètement honnête sur la nature de ses relations avec M. Schreiber. Quand on lui demande, en 1996, s'il a continué à voir M. Schreiber après avoir quitté le 24, Sussex, il dit qu'il l'a vu de temps en temps, une ou deux fois, en allant prendre le café.

En 1996, le jour de cet interrogatoire, selon ce que dit M. Mulroney maintenant, il était pourtant sous contrat avec M. Schreiber: il a un mandat pour veiller à ses affaires et il a reçu 225 000$.

Il dira qu'on ne lui a pas posé toutes les questions qu'il fallait. Ne doit-on pas dire toute la vérité, selon le serment d'usage?

Comme a dit l'auteur William Kaplan à la commission, d'un premier ministre, on s'attend à plus de transparence.

M. Mulroney nous dit que cet argent était une simple avance. Or, l'avance n'est imposable que quand elle est encaissée. Ce n'est que cinq ans plus tard, et dans la même année, qu'il a subitement encaissé l'argent de Schreiber, qui dormait sans intérêt dans des coffres-forts ou de sûreté. Étonnant, non?

Difficile à croire, oui. Comme j'ai grand peine à croire à cette histoire internationale tellement floue où M. Mulroney va d'un président mort à l'autre pour faire la promotion d'une flotte de chars blindés de fabrication allemande aux couleurs de l'ONU. Le voici dans quatre pays qui fabriquent eux-mêmes des chars. Mais Mitterrand trouve son projet «génial».

M. Mulroney a fini la journée par ces paroles: «J'ai fait une erreur significative, M. le commissaire, je la regrette et je l'ai payée très cher. Mais dans ma vie, je n'ai pas encore rencontré un Canadien qui, dans le cours d'une vie active et occupée, n'en a pas commis.»

C'est vrai, M. Mulroney, on en commet tous. Mais ce que je crois, c'est qu'une bonne raison d'accepter de l'argent comptant est généralement de ne pas le déclarer à l'impôt, même quand on fait des millions. C'est d'habitude le but de «l'erreur de jugement» qui consiste à accepter des billets au lieu des chèques. Une faute qui serait pardonnée depuis longtemps si elle avait été avouée.

Les cas de demi-grossesse sont très rares, M. Mulroney.

yves.boisvert@lapresse.ca