Faut-il éliminer le «temps double», comme le suggère le Bloc québécois? Selon cette pratique judiciaire, chaque jour passé en prison avant d'être déclaré coupable d'un crime est calculé en double au jour de la sentence.

C'est ce qui a permis à Nick Rizzuto, parrain de la mafia mont-réalaise, d'être libéré le jour même où le juge Jean-Pierre Bonin le condamnait à quatre ans de pénitencier. En effet, il était détenu depuis son arrestation, à l'automne 2006. Calculant en double chaque journée, cela équivaut à quatre ans. Ces quatre ans sont déduits de la peine, ce qui revient à le libérer le jour de la sentence.

 

À première vue, rien ne justifie une telle pratique, qui ressemble à une sorte de privilège... accordé à ceux qui sont suffisamment dangereux pour être détenus en attendant leur procès - la minorité, mais la pire minorité.

Mais cette pratique n'existe pas pour rien. En 1969, le rapport Ouimet venait décrier l'état des prisons canadiennes, en particulier les conditions de détention avant procès. C'était l'époque où l'on commençait à remettre en question l'utilisation de l'emprisonnement. Mais plus précisément, on constatait que les personnes détenues en attendant leur procès pouvaient mal préparer leur défense, qu'elles vivaient dans des prisons surpeuplées et qu'elles n'avaient accès à aucun programme de remise de peine.

Déjà à l'époque, les juges tenaient compte du temps «dur» passé en préventive dans le calcul de la peine. En 1972, le Code criminel a officialisé cette pratique: le juge, dit-on, peut tenir compte de ce temps dans le calcul de la peine - qui techniquement ne commence que le jour de la sentence.

Fort bien, mais comment en tenir compte? Un peu partout au Canada, les juges se sont lancés dans les mathématiques pénitentiaires appliquées. Nulle part n'est-il écrit, dans le ciel ou dans une loi, que le temps doive compter en double.

Certains juges allaient jusqu'à du trois pour un. Au Québec, on a opté pour du 1,5 dans les années 1970. Mais à la fin des années 1980, début 1990, on a généralement réglé pour du deux pour un.

Jamais les cours d'appel ou la Cour suprême n'ont dit que le deux pour un était une règle. Mais de tous les jugements, il ressort qu'il faut «une bonne raison» pour ne pas tenir compte du temps passé en détention préventive.

Pourquoi? Pour une raison principale: un détenu dans un pénitencier fédéral sera généralement libéré au tiers de sa peine, et si ce n'est pas le cas, il le sera au plus tard aux deux tiers, sauf rare exception. Il existe même un programme d'examen expéditif qui permet aux détenus non violents condamnés pour une première peine fédérale de sortir au sixième.

S'il est condamné à trois ans, le détenu ne purgera donc généralement qu'une seule année. Le temps passé avant la condamnation, lui, n'est pas divisible: il est purgé en entier. C'est donc une question d'équité entre les prisonniers incarcérés le jour de leur sentence, dont le temps sera «entièrement» divisible, et ceux qui sont incarcérés le jour de leur arrestation, dont seulement un bout de la peine sera divisible.

Dans le cas de Rizzuto, comme il a été condamné pour gangstérisme, la loi l'empêche d'avoir une libération conditionnelle avant la moitié de sa peine. Comme on peut supposer qu'à 84 ans il n'a pas causé beaucoup de difficultés aux gardiens, il serait sorti à la moitié de sa peine prévue, donc après deux ans. C'est ce qu'il a purgé.

Le Bloc, avec d'autres, propose d'abolir le temps compte double, mais de faire courir la peine à compter du jour de l'arrestation. Dans le cas de Rizzuto, «inadmissible» selon le député Réal Ménard, cela n'aurait rien changé. Pour les autres mafieux dans cette affaire, condamnés à des peines variant entre six et 15 ans, ça n'aurait rien changé non plus, du moins si on postule qu'ils purgeront la moitié de leur peine.

Justement, le Bloc veut aussi abolir l'actuel système de libérations conditionnelles d'office aux deux tiers, pour qu'il tienne compte de la réhabilitation et du mérite. Un mafieux non repenti, ainsi, purgerait toute sa peine.

Vaste réforme en perspective, mais parfaitement défendable. Le défaut de cette position est que, pour des raisons mathématiques qu'il serait trop long de démontrer, des gens seraient envoyés au pénitencier fédéral au lieu d'une prison provinciale, où sont les gens condamnés à moins de deux ans. Cela veut dire être incarcéré plus loin de chez soi, avec des gens en moyenne plus violents, ce qui peut faire une grande différence pour de jeunes prisonniers, par exemple.

Il est plus urgent d'abolir le programme de libération au sixième, qui ne profite généralement qu'à des mafieux ou des super-fraudeurs, comme le suggère aussi le Bloc - un parti par ailleurs exemplaire en matière de justice, tant par sa cohérence que ses initiatives innovatrices, telle la loi antigang et autres mesures contre le crime organisé.

Mais le «deux pour un», quand on en examine les raisons et l'origine, n'est pas ce scandale qu'on nous présente souvent, ni une grave entrave à la lutte contre le crime.

Son principal défaut, c'est qu'il paraît souvent appliqué de manière bêtement comptable, alors qu'un juge devrait toujours en évaluer le bien-fondé dans chaque cas, et parfois ne pas l'appliquer du tout.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca