L'ombre pesante de Donald Trump, omniprésente à Ottawa depuis son élection au début du mois de novembre, s'est transformée hier en une tempête qui a soufflé Stéphane Dion, un ministre longtemps perçu comme un intouchable au sein du Parti libéral.

Stéphane Dion est ce qu'on peut appeler un « survivant » dans le milieu politique. Recruté par Jean Chrétien en 1996, tout de suite après le référendum de 1995, il a été ministre des Affaires intergouvernementales pendant sept ans, donnant, coup pour coup, la réplique aux gouvernements souverainistes de Lucien Bouchard, puis de Bernard Landry. (Pour la petite histoire, c'est Aline Chrétien qui l'avait la première remarqué lors de ses interventions médiatiques et qui avait suggéré à son mari de le recruter.) Ses échanges épistolaires avec MM. Bouchard et Landry ont alimenté la chronique politique pendant des années.

Mis un temps sur la touche après l'arrivée de Paul Martin au poste de premier ministre, Stéphane Dion s'est accroché (il aurait pu reprendre son poste de prof à l'Université de Montréal) et a été nommé ministre de l'Environnement en 2004. Contre toute attente, il avait réussi à arracher un accord international à la Conférence de Montréal, en décembre 2005. Un an plus tard, M. Dion a déjoué tous les pronostics et est devenu chef du PLC. Battu en 2008, il a toutefois décidé de rester député, servant sous trois chefs : Michael Ignatieff, Bob Rae (intérimaire), puis Justin Trudeau.

Pendant la campagne électorale de 2015, j'avais utilisé le terme « increvable » pour dépeindre cet intellectuel un peu cassant qui a mis autant d'énergie à lutter contre le mouvement souverainiste que contre les changements climatiques.

On lui prédisait un court séjour en politique. Il aura finalement fait 21 ans, dont une décennie à un poste de ministre et deux an à la tête de son parti. Un parcours enviable, qui a toutefois pris fin abruptement hier avec ce remaniement surprise de Justin Trudeau.

Avec le départ de Stéphane Dion, et celui de John McCallum, il ne reste que trois ministres de l'époque Chrétien-Martin (Ralph Goodale, Lawrence McCaulay et Scott Brison, arrivé sur le tard, celui-là).

L'arrivée imminente de Donald Trump à la Maison-Blanche bouscule assurément les plans du premier ministre, dont le premier remaniement d'importance arrive très tôt (15 mois) dans son premier mandat. Mais celui-ci profite aussi du fort vent pour placer son monde aux postes-clés de son gouvernement, d'où la promotion de Chrystia Freeland aux Affaires étrangères et l'arrivée de François-Philippe Champagne au Commerce international.

Depuis l'entrée pétaradante de Donald Trump sur la grande scène politique américaine, Stéphane Dion est quelques fois sorti de la réserve habituelle du chef de la diplomatie canadienne pour critiquer les positions de celui qui a finalement remporté l'élection présidentielle de novembre. Son chef, lui, s'est toujours abstenu d'émettre le moindre commentaire à propos de M. Trump.

En décembre 2015, M. Dion avait pourfendu en ces termes la proposition de Donald Trump d'interdire aux musulmans l'accès aux États-Unis : « Aucun parti politique [canadien] ne pourrait s'approcher même d'un centième, même avec une perche olympique, de ce qui a été dit aux États-Unis. »

En novembre dernier, Stéphane Dion avait invité « tous les pays » à maintenir les sanctions contre la Russie en raison de ses actions en Ukraine, un commentaire perçu comme une critique envers Donald Trump.

Les proches conseillers de Justin Trudeau, qui ont eu ces dernières semaines des contacts avec des membres de l'équipe Trump, dont son gendre Jared Kushner, ont de toute évidence conclu que Stéphane Dion n'était pas l'homme de la situation.

Le choix de Rex Tillerson, PDG du géant pétrolier ExxonMobil, nommé par Donald Trump au poste de secrétaire d'État, est aussi venu compliquer les choses pour M. Dion. Imaginez un peu la rencontre entre un magnat du pétrole considéré comme un ami de la Russie et un ministre des Affaires étrangères du Canada connu pour sa longue lutte contre les changements climatiques et ses critiques contre Moscou. Pas sûr que le courant aurait passé. Chrystia Freeland semble mieux outillée pour échanger avec Rex Tillerson, elle qui est une experte de la Russie et une spécialiste du commerce international.

UNE MINISTRE EN DIFFICULTÉ

Justin Trudeau nous a habitués à des gestes symboliques forts dans les grandes décisions de son gouvernement.

En novembre 2015, il avait instauré le principe de la parité hommes-femmes au cabinet, en plus de nommer une première autochtone (Jody Wilson-Raybould) à la Justice et plusieurs membres de communautés culturelles à différents postes de ministre.

Parmi ceux-ci, Maryam Monsef, réfugiée d'origine afghane (on devait apprendre plus tard qu'elle est née, en fait, en Iran...) au poste de ministre des Institutions démocratiques, chargée prioritairement de mener la réforme du mode de scrutin.

Mme Monsef en a arraché avec ce dossier l'automne dernier, ce qui a d'ailleurs mené à des vifs accrochages avec les partis de l'opposition. Elle a été mutée hier à la Condition féminine, et c'est une autre recrue, Karina Gould (29 ans, députée de Burlington), qui hérite de la réforme du mode de scrutin, un dossier délicat dont on entendra abondamment parler en 2017.