Excellente question d'un lecteur il y a cinq jours dans ma boîte de courriels : « Et si les attentats de Paris étaient survenus pendant la campagne électorale canadienne, croyez que les libéraux de Justin Trudeau auraient gagné ? »

On ne le saura jamais, mais j'ai l'impression qu'un tel scénario aurait favorisé davantage Stephen Harper que ses rivaux libéraux et néo-démocrates, tous deux opposés à la participation de nos avions de chasse à la mission internationale contre l'État islamique et tous deux plus empressés que les conservateurs à accueillir un plus grand nombre de réfugiés syriens.

Ce que je sais avec certitude, par contre, c'est que le nouveau premier ministre est en train de rater son premier test en marge des attentats de Paris. À Ottawa, certains libéraux analysent avec circonspection les premiers pas de leur chef sur la scène internationale.

Il semble que Justin Trudeau, encore sur un nuage après son éclatante victoire, ait du mal à changer son costume de chef en campagne électorale pour celui de premier ministre. Depuis vendredi soir, la donne a changé et à événements extraordinaires, réponses extraordinaires.

Premier dossier : le retrait des CF-18 canadiens de la mission contre l'État islamique. Le premier ministre et son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, ont réitéré leur position : ramener les avions et envoyer des militaires pour faire de la formation.

Dans l'entourage de M. Trudeau, on explique que notre participation, avec six avions et un nombre limité de sorties, est symbolique et que le Canada serait plus utile en formant des soldats engagés dans la lutte contre l'EI. Ça se défend, mais le « timing » est mauvais, au moment où la France, attaquée, demande de l'aide et où nos alliés mettent l'épaule à la roue. On donne l'impression de vouloir nous pousser au moment où ça chauffe le plus.

Il existe une porte de sortie simple et honorable : le gouvernement Harper s'était engagé à participer aux bombardements jusqu'en mars, soit encore trois mois, juste le temps nécessaire pour ajuster notre mission en Irak. Les Canadiens considéreraient-ils cela comme une grave négation de promesse électorale ? Non, je ne crois pas.

Idem pour l'accueil des 25 000 réfugiés syriens : en voudrait-on vraiment au gouvernement libéral de prendre six mois plutôt que six semaines pour honorer un tel engagement ? Même réponse.

Encore là, une belle porte de sortie se dessine : les villes de Toronto, de Calgary, de Montréal et de Québec, de même que le gouvernement du Québec (même si Philippe Couillard a contredit hier sa ministre de l'Immigration et celui des Affaires municipales) réclament plus de temps pour accueillir adéquatement un flot sans précédent de réfugiés. Voilà une belle occasion de faire d'une pierre deux coups : mettre en place les structures d'accueil adéquates et montrer une véritable ouverture (c'est un leitmotiv de M. Trudeau, non ?) envers les partenaires provinciaux et municipaux, qui vont se taper le vrai boulot dans cette aventure. (Au fait, si nous montrions autant d'empressement envers les autochtones, qui vivent au Canada comme des réfugiés, leur sort ne serait peut-être pas si misérable, mais bon, c'est une autre histoire).

Pourquoi vouloir à ce point mener une opération d'une telle envergure (selon des sources à Ottawa, les contrôles de sécurité des migrants représentent un réel défi) avec une telle précipitation ? Parce qu'il s'agit d'un engagement électoral ?

Au risque de me répéter : les choses (et le monde aussi, un peu) ont changé depuis vendredi soir.

Les libéraux eux-mêmes n'ont pas toujours été aussi pressés. Début septembre, le député Marc Garneau avait affirmé que son parti, s'il prenait le pouvoir, accueillerait 25 000 Syriens d'ici janvier 2016. Son chef avait modéré son enthousiasme en parlant plutôt de la fin de l'année fiscale. Quant au chiffre de 25 000, on ne sait pas trop d'où il sort. Selon les néo-démocrates, qui s'engageaient à en accueillir 46 000 en cinq ans, le PLC est tombé dans la surenchère électorale. L'ancien premier ministre libéral Jean Chrétien, pour sa part, avait proposé d'en accueillir 50 000, en octobre 2014.

Pendant la campagne, les libéraux avaient aussi promis de verser « immédiatement une nouvelle contribution de 100 millions de dollars au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés afin de soutenir les activités cruciales de secours en Syrie et dans les régions environnantes ».

L'avant et l'après

La réaction du nouveau gouvernement du Canada, en ces jours sombres, contraste fortement avec celle de ses alliés, tous résolus à accentuer la lutte contre l'EI.

Le président de la France, François Hollande, a même prononcé lundi ces cinq mots gravissimes : La France est en guerre.

Et nous ?

Jamais depuis septembre 2001 - même sous Stephen Harper, autrement plus va-t'en-guerre que Justin Trudeau - le Canada n'a déclaré « être en guerre ».

Politiquement, militairement et juridiquement, une telle affirmation est lourde de sens. Le Canada est membre de l'OTAN et l'article 5 de cette organisation précise que si un des pays membres est attaqué, tous les autres le sont. Et si ce pays attaqué appelle à l'aide, tous doivent répondre.

En 2002, Jean Chrétien avait refusé d'engager le Canada dans l'invasion de W Bush en Irak. Nous savons que cette invasion reposait sur des principes fallacieux.

Ce n'est certainement pas le cas de la riposte de la France contre l'État islamique.