Un ami prof à la faculté de droit de l'Université de Montréal m'a raconté il y a quelque temps qu'il a été interrompu en plein élan oratoire par un étudiant, visiblement perdu, qui lui a demandé: «Pardon, monsieur, mais c'est qui, Meech?»

Eh misère... Alors, étudiants en droit (et probablement en autre chose aussi) de première année, nouvelle lecture imposée pour éviter l'humiliation: Brian Mulroney. L'homme des beaux risques (Radio-Canada-Québec Amérique), lancé cette semaine par le journaliste radio-canadien Guy Gendron. Vous en apprendrez du coup beaucoup sur Charlottetown, le rejeton de Meech.

Quiconque connaît l'histoire de ces accords maudits ne trouvera pas de révélations renversantes dans ce nouveau livre (qui découle d'un documentaire de quatre heures présenté à Radio-Canada en 2013), mais le récit méthodique (enrichi d'entrevues) qu'en fait Guy Gendron donne un ouvrage de référence complet et fort bien écrit. Un «livre à post-it», comme je le dis des livres que je garde à portée de main dans mon bureau, des livres hérissés de petits bouts de papier jaune que je consulte au besoin. On ne se refait pas: Google n'existait pas lorsque j'ai commencé dans ce métier!

Le livre de Guy Gendron ne couvre pas que Meech-Charlottetown, mais c'est de loin la période la plus passionnante, la plus chargée d'émotions de la carrière politique de Brian Mulroney. Tellement, d'ailleurs, que l'ancien premier ministre a fait une dépression après la mort de Meech (et le départ de Lucien Bouchard, dont il ne s'est pas remis non plus).

Brian Mulroney tenait à ce point à un accord qu'il a littéralement arraché Meech aux provinces, qui n'en voulaient pas vraiment. Mais lorsque celles-ci lui ont donné, contre toute attente, l'entente de Charlottetown, c'est lui qui n'y croyait plus!

Pourquoi ressasser tout cela aujourd'hui, près de 25 ans plus tard? Pourquoi replonger dans cette époque?

Peut-être parce que 25 ans plus tard, les souvenirs se décantent, les langues se délient. On apprécie mieux un paysage avec un peu de recul.

Il semble que nous soyons rendus au moment où les grands acteurs de cette turbulente époque constitutionnelle souhaitent tourner la page. Il y a eu Meech, Charlottetown, mais aussi le référendum de 1995, sur lequel reviennent Chantal Hébert et Jean Lapierre dans Confessions post-référendaires.

Ajoutez à cela le documentaire et les sorties récentes de Lucien Bouchard, et on dirait bien que les survivants des tempêtes politiques des années 90 veulent exorciser les vieux démons constitutionnels.

Fin de cycle ou fin de l'histoire? Chose certaine, les débats constitutionnels et les scénarios référendaires relatés dans ces bouquins semblent bien lointains et certainement peu susceptibles de se reproduire dans un avenir prévisible.

Un quart de siècle après les grandes manoeuvres constitutionnelles, on arrive au même constat implacable: les fédéralistes, qui rêvaient d'une réconciliation canadienne, comme les souverainistes, qui rêvaient d'un pays, sont dans un cul-de-sac duquel ils sont incapables de sortir.

La question de Bernard Drainville

On ne sait pas encore (même si on se doute fort que ce sera le cas) si Bernard Drainville sera candidat à la succession de Pauline Marois, mais une chose est sûre, il a travaillé fort cet été pour se maintenir dans l'actualité.

Après un séjour suivi en Écosse, d'où il est revenu requinqué, il a publié hier sur son site internet une lettre dans laquelle il propose aux militants souverainistes son approche en vue d'un futur référendum... en 2023.

D'abord prendre le pouvoir, préparer le terrain pendant le premier mandat, puis tenir un référendum au tout début du deuxième mandat (René Lévesque et Jacques Parizeau ont tenu un référendum dans leur premier mandat). Exit, donc, le souverainisme pressé comme l'attentisme des conditions gagnantes. Nous sommes ici dans ce que Gilles Duceppe appelait toujours la «stratégie ouverte», qui, si elle a l'avantage d'être claire, dévoile néanmoins votre plan de match cinq ans à l'avance.

Bernard Drainville fait le pari que les Québécois rééliraient un gouvernement péquiste avec la certitude d'avoir un nouveau référendum. Audacieux, diront certains. Suicidaire, diront d'autres. Disons qu'à la lumière des résultats du 7 avril dernier, il faut avoir la foi pour croire à la formule Drainville.

Et puis, je ne voudrais pas être trop tatillon, mais il me semble que la question proposée par M. Drainville dans sa lettre souffre d'un grave problème sémantique.

«Voulez-vous que le Québec demeure une province du Canada ou devienne un pays indépendant?», veut-il demander aux Québécois.

Dans un référendum, on appuie ou on rejette une option. On ne choisit pas l'une de deux.

À la question de M. Drainville, si le Oui l'emporte, le Québec reste une province et devient un pays! Si le Non l'emporte, le Québec n'est plus une province, mais ne devient pas un pays!

Remarquez, cela résume assez bien l'ambivalence des Québécois devant la question...