Le principe de solidarité ministérielle est nécessaire à la cohésion d'un gouvernement, même s'il oblige parfois certains élus - c'est le prix à payer - à avaler des couleuvres par esprit d'équipe. Rarement, toutefois, un ministre piétinera ses principes comme Réjean Hébert vient de le faire.

Invité à commenter la décision de son gouvernement d'autoriser la consommation d'alcool aux tables de jeu des casinos de Loto-Québec, une mesure qui devrait rapporter 40 millions de plus dans les coffres de l'État, le ministre de la Santé a réagi ainsi : «Dans les casinos, il y a déjà un encadrement pour les joueurs compulsifs et l'abus d'alcool, c'est l'endroit le plus sûr pour les parieurs. Il faut cesser de se mettre la tête dans le sable et permettre aux casinos d'être compétitifs. Dans les casinos des autres provinces comme sur les réserves indiennes, c'est permis. Ce qu'il faut, c'est que les joueurs soient dans des endroits sécuritaires et régis par l'État. Dans tous les bars au Québec, les gens peuvent jouer en consommant. L'effet de l'alcool sur les joueurs compulsifs est surtout un problème sur les loteries vidéo. »

C'est tout simple : la compétitivité et les revenus avant tout. Le porte-parole de Loto-Québec n'aurait pu mieux dire !

En tout cas, il n'aurait pas eu le poids moral d'un ministre de la Santé. Justement, voilà bien le problème. Le ministre de la Santé défend-il les mesures d'accroissement des revenus du gouvernement ou la santé publique ? Son mandat premier, surtout qu'il est médecin, c'est la santé publique, bien sûr.

On ne demande pas au ministre Hébert de démissionner avec fracas pour marquer son opposition à une telle politique, mais était-il obligé de la défendre avec tant de zèle ?

D'autant plus que ses arguments sont franchement douteux.

D'abord, il nous dit que l'alcool est permis aux tables de jeu ailleurs, notamment dans les réserves autochtones. Depuis quand le Québec doit-il s'inspirer des pires pratiques observées ailleurs, en particulier dans les réserves réputées pour leur laxisme ? Un coup parti, on devrait aussi permettre de nouveau la cigarette dans les tripots puisque ça se fait chez les Autochtones.

Et puis, surtout, le ministre de la Santé nous dit que les casinos sont des lieux sûrs pour boire et jouer... contrairement aux bars, où loterie vidéo et alcool se côtoient sans surveillance ! Le grand responsable de la santé publique admet qu'il y a un problème dans les bars mais se console en constatant que ce sera mieux dans les casinos !

Le ministre Hébert sait-il que son collègue des Finances, Nicolas Marceau, a passé, dans son premier budget, la commande à Loto-Québec d'augmenter les revenus de loterie vidéo en redéployant les appareils là où ils sont le plus payants ? Une ponction supplémentaire de 50 millions en 2013-2014 et de 90 millions en 2014-2015 auprès d'une clientèle à risque, de l'aveu même du ministre. Parlant de se mettre la tête dans le sable, il y a visiblement des choses que le ministre Hébert ne veut pas voir.

Un ministre n'est pas qu'une courroie de transmission des décisions prises au-dessus de sa tête. Il peut aussi, lorsque son devoir le dicte, défendre ses « clientèles », comme on dit dans le milieu. C'est ce qu'avait fait Philippe Couillard, lorsqu'il était ministre de la Santé, en s'opposant farouchement, au nom de la santé publique, au déménagement du casino de Montréal.

La réaction étrange du ministre Hébert n'est qu'un autre signe d'égarement de ce gouvernement, qui, visiblement, a perdu ses repères.

La ministre Agnès Maltais qui tape sur les assistés sociaux, Pauline Marois qui coupe les CPE (dans ce cas, ce n'est même plus une compression, c'est un affront!), cette série de nominations partisanes plus que douteuses, ce postulat envers le déficit zéro que le Québec ne peut atteindre dans les délais prescrits, ces reculs, notamment en matière de redevances minières, cette obsession constitutionnelle qui n'intéresse que les militants péquistes (et encore !), cette panique, cette semaine, devant les révélations de l'organisateur Gilles Cloutier à la commission Charbonneau... Mesdames et messieurs, faites vos jeux, rien ne va plus !

Et il y a cette arrivée inusitée de Pierre Karl Péladeau à la tête du conseil d'administration d'Hydro-Québec, sujet dont je me suis abstenu de parler à ce jour, de crainte sans doute de me faire accuser d'alimenter les guéguerres Gesca-Québecor.

Cela dit, je n'arrive toujours pas à comprendre cette nomination, et un récent séjour à Québec m'a permis de constater que je ne suis pas le seul. Au PLQ, à la CAQ et même au PQ, on se gratte aussi la tête.

Je veux bien comprendre que Mme Marois ait des atomes crochus avec PKP et qu'elle veuille s'acheter des indulgences dans la couverture de son gouvernement au Québec, mais elle a tout de même nommé à la tête de la plus importante société d'État québécoise un homme qui dirige un réseau canadien (Sun) qui bat régulièrement des records de vomissure sur le Québec.