La victoire de Justin Trudeau ne faisait aucun doute, mais l'ampleur de celle-ci lui donne deux avantages précieux: il a les mains libres et il hérite d'un parti uni. Normalement, la première tâche d'un nouveau chef de parti est de recoller les pots cassés après une campagne à la direction.

Ce ne sera pas le cas de M. Trudeau, qui a dit lui-même dans son tout premier discours comme chef que le temps des querelles internes est terminé. Présents dans la salle de bal de l'hôtel Westin, à Ottawa, Jean Chrétien et Paul Martin se sont levés pour applaudir cette déclaration du jeune chef. Drôle de scène... Ces deux-là, visiblement, ne s'aiment pas plus qu'avant, mais ils conviendront sans doute, comme tous les libéraux, que les luttes intestines ont fait du tort à leur parti.

Malgré l'unité retrouvée, le nouveau chef a du pain sur la planche. Et même s'il reste 30 mois avant les prochaines élections, il a intérêt à se mettre rapidement au travail parce que ses adversaires, eux, l'attendent de pied ferme. Il n'a d'ailleurs fallu que quelques secondes aux conservateurs pour publier un communiqué félicitant Justin Trudeau... tout en insistant sur son manque d'expérience et de jugement.

Les célébrations, pour M. Trudeau et ses proches, seront de courte durée puisqu'il devra se lever aux Communes aujourd'hui pour la première fois en tant que chef du PLC et affronter le gouvernement conservateur. Voici, en 10 points, la liste des priorités et défis qui attendent M. Trudeau:

1- Garde rapprochée

On reconnaît un bon chef à sa capacité de bien s'entourer et Justin Trudeau, à qui on reproche souvent de manquer de contenu, devra nommer des conseillers expérimentés, loyaux, mais aussi patients et méthodiques. L'euphorie de la victoire cédera rapidement la place à la réalité et de bons sondages, plus de deux ans avant les élections, n'ont jamais garanti la victoire.

2- Équipe parlementaire

La capacité d'envoyer les bons députés sur les bons enjeux au bon moment et marquer des points à la Chambre des communes représente un test de crédibilité pour un chef et son parti. Les chefs qui n'arrivent pas à diriger leur caucus ne peuvent aspirer à diriger le pays.

3- Préparer, rapidement, les partielles

Le premier test électoral de Justin Trudeau viendra rapidement, le 13 mai, dans la circonscription de Labrador, laissée vacante depuis la démission du ministre conservateur Peter Penashue. Labrador a toujours été libéral avant le scrutin de 2011 et M. Trudeau veut reprendre cette circonscription. Une défaite libérale remettrait en question la portée réelle de l'«effet Trudeau». Il lui faudra aussi préparer une prochaine partielle dans Bourassa, qui devrait bientôt se libérer avec le départ de Denis Coderre.

4- Réorganisation du parti

Le PLC, qui a longtemps été une force politique et électorale redoutable, est aujourd'hui en mauvais état, en particulier au Québec. Le nouveau chef devra réorganiser la structure, la permanence, l'exécutif du parti et les instances régionales, ce qui signifie vraisemblablement la mort prochaine du PLC-QC, l'aile québécoise du PLC et la centralisation des opérations.

5- Nouvelle structure de financement

Jadis une machine à ramasser de l'argent, le PLC doit aujourd'hui composer avec une raréfaction des donateurs et la fin du financement public décidé par le gouvernement Harper. L'arrivée de Justin Trudeau a ramené militants et dollars, mais le PLC est loin des belles années et le nouveau chef devra s'assurer que les sources de financement ne se tarissent pas maintenant que la course à la direction est terminée.

6- Garder les militants, en attirer d'autres

En permettant à des sympathisants de voter pour élire le nouveau chef, le PLC espérait créer un mouvement, un peu comme le Parti socialiste l'a fait en France en 2011, et, idéalement, inciter des gens à militer au sein du PLC. Le bilan de l'expérience, toutefois, est mitigé et il faudra voir si le PLC réussit à regarnir ses rangs. Justin Trudeau, par ailleurs, s'est beaucoup vanté d'avoir réuni une armée de bénévoles, mais il devra maintenant les convaincre de rester mobilisés.

7- Recrutement de candidats

Justin Trudeau a promis de tenir des assemblées d'investiture ouverte dans toutes les circonscriptions, mais un chef doit aussi recruter des candidats de prestige et pouvoir leur offrir une piste d'atterrissage enviable. Les trois derniers chefs libéraux (Ignatieff, Dion et Martin) ont eu beaucoup de mal à attirer des grosses pointures.

8- Liste des circonscriptions prioritaires

Où le PLC peut-il gagner, où doit-il concentrer ses énergies et ses ressources? Le nouveau général doit savoir où et comment mener la prochaine bataille électorale.

9- Visibilité du chef

Tout est dans le dosage. Justin Trudeau va devoir apprendre à «gérer» son image pour viser un équilibre délicat: profiter de sa popularité pour garder un contact avec les électeurs sans toutefois devenir objet de potins parfaitement superficiels.

10- Pondre un programme

Dernier point, mais certainement pas le moindre, Justin Trudeau doit redonner un programme, donc une identité au PLC. Avec le repositionnement du NPD, le centre risque d'être congestionné. Où loge le Parti libéral? Quel est son fonds de commerce? Que sont, au-delà des mots, les fameuses «valeurs libérales».

Correction: Dans mon texte de samedi sur Justin Trudeau, j'ai écrit qu'Edgar Bronfman Jr. faisait partie de son équipe, mais il s'agit en fait de Stephen Bronfman. Mes excuses.