Les sondages des derniers mois sur l'intérêt des Canadiens pour les élections américaines ont démontré que ceux-ci, comme une forte proportion d'Européens, préfèrent Barack Obama à Mitt Romney.

Mais s'il y a un endroit au pays où bien des gens auraient aimé voir l'avance du début de soirée de Romney se concrétiser en victoire, c'est certainement en Alberta.

La riche province de l'Ouest est souvent critiquée, parfois même boycottée, à cause de l'exploitation des sables bitumineux, d'où on extrait un pétrole jugé trop sale (dirty oil) pour être acceptable. L'Alberta comptait toutefois en Mitt Romney le défenseur le plus solide et le plus influent du pipeline Keystone, un projet de 7,6 milliards de dollars qui devrait, une fois réalisé, permettre d'acheminer le pétrole du nord de la province jusqu'au golfe du Mexique, au Texas.

Un tel projet, s'il fait rêver ses partisans, effraye les environnementalistes ainsi que certains dirigeants des provinces voisines et des États que traverserait l'interminable tuyau.

Conscient des inquiétudes que suscite Keystone, le président Barack Obama a stoppé la machine en janvier dernier et exigé davantage d'études avant de donner son feu vert définitif. Son adversaire républicain à la présidence, Mitt Romney, lui, promettait de relancer le projet dès le jour 1 de sa présidence. Il en avait même fait un élément central de son plan énergétique.

On peut donc comprendre que le gouvernement albertain, les promoteurs du projet Keystone et tous les travailleurs qu'il emploierait étaient plutôt favorables à M. Romney. On peut aussi se douter que Stephen Harper, lui-même député de Calgary et militant de l'exploitation pétrolière en Alberta, notamment par la construction du pipeline Keystone, avait un faible pour Mitt Romney.

Cela dit, la réélection de Barack Obama n'est pas une catastrophe complète pour les promoteurs du pipeline puisque les spécialistes des relations canado-américaines s'attendent à ce que l'administration démocrate débloque le projet dans un avenir rapproché.

C'est l'avis, notamment, de Frank McKenna, ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick et ex-ambassadeur du Canada à Washington, qui a déclaré récemment à Calgary que le feu vert viendrait incessamment, peu importe qui est élu à la Maison-Blanche. Plusieurs pensent que l'administration Obama avait mis Keystone en veilleuse pour éviter ce sujet délicat en période électorale, mais qu'elle a l'intention d'autoriser sa construction puisque les États-Unis ont besoin de cet approvisionnement sûr d'un pays voisin et ami.

Pour Stephen Harper non plus, la réélection de M. Obama n'est pas une catastrophe. Au contraire. Les deux hommes, sans être proches, s'entendent plutôt bien, et les relations entre les deux pays sont au beau fixe. En fait, elles ont rarement été aussi calmes. Il n'y a pas si longtemps, Jean Chrétien avait dû jouer d'audace, au risque de déplaire fortement au président George W. Bush, en refusant d'engager le Canada dans la guerre en Irak. Son successeur, Paul Martin, avait dû, quant à lui, dire non à une participation canadienne au projet chéri de bouclier antimissile du même W, risquant lui aussi le courroux américain.

Stephen Harper, quant à lui, a manoeuvré pour mettre fin à la mission canadienne en Afghanistan malgré le souhait contraire de Barack Obama.

Cette fois, pas de guerre, pas de conflit lancinant comme le bois d'oeuvre, pas de bouclier antimissile, même plus de pourparlers à propos d'Omar Khadr puisque celui-ci est de retour au Canada.

Pour le reste, c'est business as usual entre les deux plus grands partenaires commerciaux du monde. La plus grande préoccupation touche la circulation fluide des biens à la frontière, un dossier dans lequel MM. Obama et Harper ont déjà fait du chemin.

Le seul écueil possible est la décision du Canada concernant l'achat des nouveaux avions de chasse. Les Américains veulent nous vendre leur F-35, qui semble en effet le modèle privilégié par le gouvernement Harper, mais de sérieux doutes quant à cet appareil pèsent sur la décision définitive d'Ottawa. Si le Canada devait, comme d'autres pays l'ont fait, abandonner l'option F-35, il est évident que cela passerait mal à Washington.

Par ailleurs, Barack Obama et Stephen Harper ne s'entendent pas nécessairement tout le temps sur la question israélienne, mais le Canada, soyons réalistes, n'est qu'un tout petit joueur sur l'échiquier.

Il est certain que, sur cette question, M. Harper aurait été plus à l'aise avec la position de Mitt Romney. De plus, le candidat républicain connaissait le Canada (ce qui n'est pas le cas de M. Obama), lui qui a passé ses étés d'enfance en Ontario et qui a brassé des affaires de ce côté-ci de la frontière lorsqu'il était chez Bain Capital. M. Romney parle même plutôt bien français, ce qu'on lui a reproché, d'ailleurs, aux États-Unis.

Et le Québec?

À Québec, la préférence du gouvernement Marois pour le camp démocrate ne surprendra personne. La réélection de Barack Obama a donc été fort bien accueillie.

Le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, admet que rien ne changera vraiment pour le Québec, mais il dit néanmoins espérer qu'«Obama 2» fera avancer le projet de marché continental du carbone. Sans la majorité à la Chambre des représentants (et vu le manque de volonté à Ottawa), cela risque toutefois d'être difficile.

Quant aux projets de TGV, défendus par le président Obama au début de son premier mandat, M. Lisée constate que l'enthousiasme s'est émoussé.

Pour ce qui est de la souveraineté, rien de bien neuf de ce côté-là non plus.

«Il ne faut jamais essayer de les convaincre du bien-fondé du projet parce que, dès qu'on essaye, on se retrouve devant une falaise idéologique, dit M. Lisée. Ils ne seront jamais d'accord, ils ne comprendront jamais pourquoi nous voulons faire ça. Il faut seulement leur expliquer, leur répéter que c'est un projet démocratique et que nos produits seront aussi bons. Il faut en arriver à ce qu'ils disent: bof...»

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