Il y a longtemps qu'on en parle, qu'on l'attend, que plusieurs l'espèrent même, mais cette fois pourrait être la bonne: nous vivrons vraisemblablement la première vraie campagne électorale 2.0 au Québec très prochainement.

Contrairement aux campagnes ayant consacré la présence des médias sociaux aux États-Unis, celle de Howard Dean lors de la course à l'investiture démocrate en 2004 et celle de Barack Obama vers la présidence en 2008, la révolution 2.0 au Québec viendra probablement des électeurs plus que des partis politiques. MM. Dean et Obama ont réussi à mobiliser une base électorale décrochée de la politique, récoltant au passage des millions en dons.

Après des années de tâtonnements dans ce nouvel univers, les partis politiques d'ici commencent à y prendre leur place, mais ces grosses machines demeurent lentes, peu actives, en panne d'audace et en manque chronique d'imagination.

Les médias sociaux font encore peur aux partis politiques, peur entretenue, curieusement, par le personnel politique plus jeune qui craint de voir ses patrons, ministres ou députés, se planter sur Twitter ou Facebook. La hantise des partis, c'est de voir un élu déraper, y aller d'une bourde ou s'engager dans un «tweet fight» avec des adversaires hargneux. Sans compter les cas d'alcool au clavier, toujours très dangereux dans un monde balisé par moins de 140 caractères.

Cela dit, les partis politiques québécois sont beaucoup plus présents depuis peu, une présence encouragée par la fièvre préélectorale qui s'est abattue sur les partis et par la crise étudiante des derniers mois.

Les libéraux de Jean Charest, notamment, absents de Twitter pendant longtemps, sont débarqués massivement depuis quelques jours. On le sait, entre autres choses, parce que les «spinneux» reprennent béatement les mêmes «lignes» préparées par le quartier général. Depuis quelques jours, les ministres multiplient les annonces de tous ordres sur Twitter, une stratégie de communication «sans filtre» efficace quand bien utilisée (des points ici, notamment, à Pierre Arcand, à l'Environnement). Certains ministres, dont Raymond Bachand et Christine St-Pierre, ont fait leur entrée très récemment sur Twitter. Si mon vénérable et très apprécié confrère, Michel David, du Devoir, est finalement passé sur Twitter, lui qui, jusqu'à preuve du contraire, vit encore aujourd'hui sans téléphone cellulaire, plus aucun élu n'a d'excuse pour rester dans sa grotte pré-2.0!

Ceux qui suivent François Legault sur Twitter ont aussi remarqué cette semaine que le chef de la CAQ est soudainement beaucoup plus actif. Il a même admis animer lui-même son compte Twitter. Ses conseillers en communication ont certainement gagné quelques cheveux blancs...

Mais l'univers 2.0 appartient à tout le monde, et cela changera la joute électorale profondément. Twitter, Facebook et surtout YouTube permettent ce que la loi électorale québécoise interdit: des interventions de tierces parties, non officiellement associées à un parti politique, anonymes le plus souvent et dont les interventions ne sont pas comptabilisées dans les dépenses électorales.

Les publicités et diffusions de messages par des groupes de pression sont permises aux États-Unis, ce qui donne lieu, à chaque campagne, à des attaques féroces officiellement neutres, mais clairement menées pour favoriser un camp. Ici, c'est interdit et quiconque veut intervenir pour ou contre un parti durant une campagne électorale doit nécessairement le faire sous le «parapluie» d'un parti ou d'un camp lors des référendums.

On a vu, la semaine dernière, un bel exemple d'intervention hors parapluie, lorsque des gens (ou des groupes) ont parodié la publicité préélectorale de Jean Charest. Des pastiches sont apparus sur YouTube dans les heures suivant la diffusion du message original du PLQ.

Je me suis laissé dire récemment que plusieurs groupes, en particulier du côté des artistes, sont très mobilisés contre le gouvernement Charest et qu'ils ne se gêneront pas pour intervenir lors de la prochaine campagne électorale sur les réseaux sociaux. En fait, c'est déjà commencé.

De telles interventions devraient inquiéter les libéraux. Souvenez-vous du tort causé aux conservateurs de Stephen Harper, au cours de la campagne de 2008, lorsque des artistes avaient sauté dans l'arène politique en utilisant YouTube. Les conservateurs ont alors perdu le Québec et ont très chèrement payé les coupes de 30 millions dans les subventions aux arts et à la culture.

Encore là, toutefois, l'univers 2.0 appartient à tout le monde, et rien n'empêche des groupes favorables aux libéraux (ou opposés au PQ, à la CAQ ou à Québec solidaire) de jouer aussi cette carte. Allez sur YouTube et tapez «ces femmes qui nous inspirent», vous verrez alors une pub «anonyme» très dure contre Pauline Marois, qui fait passer la pub du PLQ de cette semaine pour de la tisane tiède.

Les parodies des publicités de Jean Charest, les vidéos contre le gouvernement, les attaques fantômes contre Pauline Marois, les répliques instantanées, et parfois virulentes sur Twitter, les confidences et déclarations maladroites de candidats sur Facebook, la diffusion endémique de certains messages... Bienvenue dans cette première vraie campagne 2.0.