Peu de temps avant de mourir tragiquement dans un accident d'hélicoptère, le célèbre boulanger français Lionel Poilâne avait écrit, avec quelques amis, dont les chefs Paul Bocuse et Alain Ducasse, une supplique au pape Jean-Paul II pour faire retirer la gourmandise de la liste des sept péchés capitaux.

Un homme qui a écrit des livres suggérant aux parents de faire des tartines aux fraises caramélisées, aux pommes-caramel et à toutes sortes de confitures décadentes pour le goûter des enfants et qui demande la clémence du pape... c'est comme si Tiger Woods demandait à Benoît XVI de biffer la luxure de la liste des sept péchés capitaux.

 

En fait, pour être exact, la supplique demandait au pape de substituer au mot gourmandise les termes gloutonnerie, intempérance ou goinfrerie.

N'empêche, drôle de démarche, que celle de feu Poilâne.

D'abord, franchement, le pape et sa liste, on s'en fout, non? Le Vatican marine dans les scandales sexuels depuis des années (ce que l'on apprend ces jours-ci n'a rien de nouveau. St. Vincent, il y a plus de 20 ans, ça vous dit quelque chose?). Le Vatican, donc, gardien de la vertu, c'est un peu comme si Vincent Lacroix était nommé à la tête de l'Autorité des marchés financiers.

Et puis ce qui est interdit, surtout pour des raisons morales, est toujours plus excitant, c'est bien connu.

Aux yeux purificateurs de la très sainte Église, les pains de Poilâne, c'est le diable en tranches. Moi, je préfère penser que c'est bon en diable. Je ne suis pas le seul, d'ailleurs - ce qui a assuré la fortune des descendants Poilâne.

Normand Laprise, ce génial chef montréalais, est-il toqué pour cacher ses petites cornes? Les trois rigolos de Kitchen Galerie (et de Chez Roger), Jean-Philippe, Mathieu et Axel, ont certainement vendu leur âme à quelque démon de la bouffe pour cuisiner comme ça! Pour aimer ça autant, surtout! Et Martin Picard? Si ce gars-là n'est pas de mèche avec Belzébuth, le démon de la gourmandise, eh bien! moi, je suis un puceau servant de messe.

Vous avez déjà vu le sourire diabolique de Josée Di Stasio quand elle goûte une nouvelle sauce? Vous avez été envoûté plus d'une fois, comme moi, par le verbe, non pas divin, mais luciférien, de Daniel Pinard quand il parle d'une simple pièce d'agneau du Québec?

C'est précisément ce qui rend ces démons de la bouffe si adorables. Et le péché de gourmandise si attirant.

Selon mes recherches sur l'internet, «ce n'est pas tant la gourmandise (Gula en latin) au sens moderne qui est blâmable que la gloutonnerie, cette dernière impliquant davantage l'idée de démesure et d'aveuglement que le mot gourmandise» (Wikipédia).

J'ai aussi appris que des sept péchés capitaux découlent tous les autres péchés, moins dommageables pour la sauvegarde de votre âme, mais néanmoins répréhensibles. C'est bien fait pareil, cette affaire-là. Tout se tient.

Le clergé n'a plus beaucoup d'influence, mais les péchés n'ont pas nécessairement disparu.

C'est probablement pour ça qu'il est devenu péché, en cette ère d'autoculpabilisation envahissante, d'engloutir une grosse frite bien grasse chez Ben-on-se-bourre-la-bedaine (rue Principale, à Granby) ou un hamburger de la Paryse.

Nos bons prêtres ensoutanés n'ont plus beaucoup d'ascendant sur nos consciences, mais les curés de la fibre, des antioxydants et des probiotiques ont pris le relais.