Jean Charest avait prévenu son caucus, mercredi matin: Soyez tous là demain, 13h, sans faute, j'ai une annonce très importante à faire.

La demande était tellement solennelle que le premier ministre a pris la peine de préciser à ses députés que, non, il ne déclencherait pas les élections.

Mais à voir son air triomphant du chat qui a avalé un canari, tout le monde avait compris, raconte un témoin de la scène, qu'une grosse nouvelle s'en venait. Quelques-uns spéculaient d'ailleurs mercredi soir sur l'éventualité de voir des députés adéquistes traverser la chambre.

Les noms avancés n'étaient toutefois pas ceux d'André Riedl et de Pierre Michel Auger, si bien qu'une rumeur circulait encore hier dans les rangs libéraux selon laquelle deux autres députés de l'ADQ seraient aussi tentés de traverser.

Bien des gens, à commencer par les électeurs adéquistes des circonscriptions de Champlain et d'Ibervillle, s'offusqueront, bien sûr, de ce coup de théâtre. Évidemment, tout le monde est pour la vertu. Mais on parle ici de politique. Dans un environnement trouble d'un gouvernement minoritaire, qui plus est.

Personne n'aime les transfuges, mais tous les partis veulent néanmoins en attirer pour démontrer qu'ils ont le vent dans les voiles. Ce que Charest a démontré hier, sans aucun doute.

Si, il y a quelques mois, le mouvement avait été dans le sens inverse, Mario Dumont aurait accueilli les transfuges libéraux à bras ouverts.

Le changement d'allégeance reste, dans notre système parlementaire, une pratique douteuse qui est généralement durement sanctionnée par l'électorat. Pour un Scott Brison ou une Belinda Stronach, qui survivent au tribunal populaire, on compte bien des carrières politiques écourtées chez les vire-vestes.

L'heure du jugement viendra pour André Riedl et Pierre Michel Auger, mais dans l'immédiat, cela confirme que l'ADQ est en perte de vitesse. Et ça tombe à un bien mauvais moment pour le parti de Mario Dumont, accablé depuis quelques mois par de mauvais sondages.

L'ADQ, avec l'aide du PQ, avait réussi à marquer quelques points contre le gouvernement Charest en imposant leur candidat à la présidence de l'Assemblée nationale dès le premier jour de cette session houleuse, mais la perte-surprise de deux députés a eu l'effet d'une taloche pour Mario Dumont.

Encore une fois, l'ADQ risque de se faire bousiller un congrès par une controverse. En mars dernier, à Laval, c'était cette histoire de prime salariale de 50 000$ versée au chef qui avait fait dérailler le plan du congrès. Cette fin de semaine à Drummondville, les deux députés les plus présents au congrès de l'ADQ seront ceux qui viennent de quitter le navire.

Mario Dumont voulait parler d'autonomie, il voulait relancer son parti grâce à ce grand rassemblement partisan. On parlera plutôt du départ des deux transfuges. Et immanquablement de l'avenir de l'ADQ. Encore une fois.

Chose certaine, ces défections n'ont rien fait pour calmer les rumeurs d'élections à Québec, hier. Elles entretiennent en fait le climat d'hystérie plus propice au déclenchement des élections qu'à une rentrée parlementaire.

Les libéraux croisés à Québec et à Montréal depuis le début de la semaine sont unanimes: Jean Charest veut y aller. Et une bonne prise comme celle d'hier ne pourra que le convaincre qu'il a le vent dans les voiles.

Son entourage, par contre, est beaucoup moins pressé.

Un trio de conseillers libéraux respectés, Pierre Bibeau, Joël Gauthier et Benoît Savard, se sont rencontrés la semaine dernière et ont apparemment convenu qu'il vaut mieux attendre au printemps. La question est de savoir si ce genre d'avertissement se rend à Jean Charest.

Par ailleurs, les deux principaux conseillers de Jean Charest, son chef de cabinet, Daniel Gagnier, et John Parisella, préconisent eux aussi un scrutin printanier. Maniaque de politique américaine et fan avoué de Barack Obama, John Parisella prévoit même faire une petite virée chez nos voisins du Sud la semaine prochaine, tout juste avant l'élection présidentielle du 4 novembre. De toute évidence, il n'a pas prévu être occupé à la préparation d'une campagne électorale cet automne.

Le programme, dit-on justement chez les libéraux, n'est pas prêt et comme la campagne tournera autour de la crise financière, vaudrait mieux ne pas reproduire l'erreur de Stephen Harper, qui s'est lancé en campagne sans plan économique précis.

Par ailleurs, le recrutement est loin d'être terminé, ce qui est un problème pour tous les partis sous un gouvernement minoritaire.

Surtout, les libéraux craignent d'être punis par la population, qui ne prendrait pas qu'on lui impose une nouvelle campagne électorale, quelques semaines après la campagne fédérale et moins de deux ans après le dernier scrutin provincial.

Jean Charest, trop affamé, risque de paraître arrogant, une image dont il cherche à se défaire, avec succès, en ce deuxième mandat.

On a vu, au fédéral, que le déclenchement hâtif par Stephen Harper n'a pas donné les résultats souhaités par les conservateurs.

Cela dit, M. Charest n'aura pas, comme M. Harper, à affronter un parti voué à l'opposition qui fait campagne uniquement sur un thème: bloquer le chemin vers la majorité.

Au Québec, les trois principaux partis jouent pour la coupe, comme on dit au hockey.

C'est donc dire que cette campagne se jouera sur la confiance. Autrement dit, à quel chef et à quel parti faites-vous le plus confiance en ces temps de crise financière. Si les libéraux réussissent à imposer ce thème, ils partent avec une longueur d'avance.

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