La visite de Nicolas Sarkozy n'aura pas été longue, mais on s'en souviendra longtemps.

Et même courte, elle aura duré trop longtemps au goût des souverainistes.

Jamais depuis le général de Gaulle, du haut du balcon de l'hôtel de ville de Montréal en 1967, un président français n'aura été aussi clair quant à la place de l'Hexagone dans le toujours délicat triangle France-Canada-Québec.

Le problème, pour les souverainistes, c'est que le président Sarkozy s'est rangé résolument du côté du Canada. En un discours, on est passé du célèbre «Vive le Québec libre» à «Vive le Canada uni».

 

«J'ai toujours été un ami du Canada. Parce que le Canada a toujours été un allié de la France. Et franchement, s'il y a quelqu'un qui vient me dire que le monde a aujourd'hui besoin d'une division supplémentaire, c'est qu'on n'a pas la même lecture du monde, a dit M. Sarkozy en point de presse.

«Je ne vois pas au nom de quoi une preuve d'amour pour le Québec, fraternelle et familiale, devrait se nourrir d'une preuve de défiance à l'endroit du Canada», a-t-il ajouté.

La déclaration du président ne plaira pas à tout le monde, mais elle a le mérite d'être claire.

Nous sommes loin, en effet, de cette fameuse déclaration torturée du précédent président, Jacques Chirac, faite à Lucien Bouchard à l'Élysée en 1997 et qui allait comme suit: «Quel que soit le chemin que le Québec choisira, la France l'accompagnera. Le Québec peut compter sur l'amitié et la solidarité de la France.»

Nous avons aussi dévié de la traditionnelle et confortable doctrine française dite du ni-ni, soit ni ingérence ni indifférence.

Déjà, en mai, le président Sarkozy avait lancé en recevant la gouverneure générale, Michaëlle Jean: «Vous savez que nous, on est très proches du Québec, mais je vais vous le dire, on aime beaucoup le Canada aussi. On n'oppose pas nos deux amitiés et nos deux fidélités.»

Cette déclaration avait semé l'émoi parmi les souverainistes, qui y avaient vu le reniement de l'amitié privilégiée entre la France et le Québec et, surtout, de l'appui tacite de la République aux aspirations du Québec.

Ces mêmes souverainistes n'auront pas été rassurés hier par le point de presse de Nicolas Sarkozy. Point de presse très «sarkozien», direct, frondeur, dans lequel il a clairement indiqué ses couleurs. Sarko préfère le rouge. On s'en doutait. C'est devenu très clair hier.

La position de Sarkozy s'éloigne pour de bon du romantisme (quand ce n'était pas carrément du paternalisme) du gouvernement français à l'endroit du Québec. Un romantisme fondé sur le désir de libération des peuples opprimés.

Un romantisme fondé, aussi, sur une certaine culpabilité de la mère patrie qui reconnaissait avoir abandonné le Québec.

Exit le romantisme et la culpabilité. Nicolas Sarkozy assume parfaitement son parti pris pour le Canada.

Le président voulait revoir le ni-ni, il l'a fait en faisant sauter un des ni, celui de l'ingérence. Avec Sarko, c'est donc: ingérence en faveur d'un Canada uni, sans toutefois devenir indifférent envers les «frères» québécois.

Le plus ironique de l'affaire, c'est que le président français reprend ici un argument avec lequel les fédéralistes québécois ont si souvent fait chou blanc. Quand il dit qu'on peut aimer le Québec sans renier le Canada, il dit exactement ce que les Jean Charest, Jean Chrétien, Robert Bourassa et autres Daniel Johnson fils se sont évertués à répéter depuis des décennies.

C'est aussi ce que Stephen Harper, dont c'était la première sortie officielle depuis sa réélection de mardi, a essayé de dire pendant toute la dernière campagne électorale, sans toutefois toucher la cible.

«Le Canada est un ami, le Québec est un frère», a dit le président Sarkozy. Et comme chacun sait, on choisit ses amis, mais pas sa famille.

Dans une réponse écrite aux questions que lui avait posées La Presse en prévision de sa visite à Québec, le président précise ainsi sa relation avec le Canada et le Québec: «Mais j'insiste: cette relation unique, fraternelle qui existe entre la France et le Québec n'est en rien exclusive de l'amitié profonde qui lie la France et le Canada. Pendant trop longtemps, nous avons vécu avec cette idée qu'il faudrait choisir entre l'une et l'autre; qu'honorer l'une, c'était trahir l'autre. C'est tout le contraire! Le lien si spécial qui unit la France et le Québec est une chance, un atout formidable aussi pour l'amitié franco-canadienne.»

Les propos de M. Sarkozy détonnent en regard de ceux de son premier ministre, François Fillon, qui avait parlé du «pays du Québec» lors de sa visite de juillet. Au grand déplaisir d'Ottawa, d'ailleurs.

Les pendules ont été remises à l'heure, hier. Cette fois, au grand déplaisir des souverainistes, qui voient une fois de plus leurs efforts de sensibilisation sur la scène internationale écrasés par le poids du Canada.

Pas étonnant que les députés péquistes se soient montrés, cette semaine, si peu enthousiastes à l'idée d'accueillir le président Sarkozy à l'Assemblée nationale.

Chose certaine, les canaux de communication privilégiés que les souverainistes ont déjà eus avec le gouvernement français sont, pour le moment, complètement bouchés.

Pour les souverainistes, c'est le mythe de Sisyphe. Toujours pousser la pierre en haut de la colline, pour la voir retomber. Ces années-ci, la colline est de plus en plus haute, et les efforts pour la gravir de plus en plus éreintants.

Pour un «Vive le Québec libre», combien de déceptions sur la scène internationale?

Souvenez-vous de la fameuse déclaration de Bill Clinton en octobre 1995, quelques jours avant le référendum: «Je ne voudrais pas m'ingérer dans le débat. Je peux vous dire qu'un Canada fort et uni a été un merveilleux partenaire pour les États-Unis et un citoyen constructif et incroyablement important dans le monde, a-t-il toutefois ajouté. J'espère que cela va continuer ainsi.»