Des 35 journées de campagne électorale, Stephen Harper a choisi précisément celle d'hier pour annoncer que son gouvernement abaissera à 14 ans l'âge où un criminel violent peut être condamné à la prison à vie.

Comme par hasard, le jour même où le chef libéral, Stéphane Dion, dévoilait son programme électoral.

En fait, il n'y a pas de hasard. M. Harper veut de toute évidence passer un message: les libéraux continuent de parler de milliards virtuels et de nouveaux programmes sociaux. Les conservateurs prennent des engagements concrets pour protéger les Canadiens.

Cela ne peut être plus clair. Du coup, M. Harper se campe encore un peu plus à droite, il tourne le dos à l'électorat des grandes villes pour s'adresser aux régions, traditionnellement plus réceptives aux mesures de loi et d'ordre.

Parmi les grands partis, celui de Stephen Harper est le seul à jouer sur l'aile droite. Et il occupe tout l'espace. À gauche, par contre, il y a congestion et ça joue du coude entre libéraux, néo-démocrates, verts et, au Québec, avec le Bloc québécois.

Toute forme d'alliance formelle d'un parti fédéraliste avec le Bloc québécois est, par définition, impossible. Et les trois autres? Pour le moment, ce n'est pas à l'ordre du jour, mais la gauche (on s'entend: centre gauche et même centre-centre gauche) ne pourra faire l'économie d'un vrai débat sur une coalition encore bien des années.

L'époque où le Parti libéral pouvait rafler une majorité de sièges et diriger le pays en maître absolu avec 37% des voix est révolue. La diminution des appuis aux libéraux, l'effritement du vote bloquiste, un intérêt nouveau pour le NPD et les verts ainsi que la présence dans toutes les provinces d'un Parti conservateur organisé et présentable viennent bouleverser la donne électorale.

Jack Layton a effleuré la question d'une coalition, hier, en entrevue au réseau CTV. Il s'est borné à dire que lorsqu'il sera premier ministre, il s'assoira avec les chefs des autres partis qui veulent collaborer avec lui.

On est loin ici d'une alliance formelle et encore plus loin d'un gouvernement de coalition. Et puis, M. Layton est encore très loin du fauteuil de premier ministre, même s'il mène une excellente campagne et que les appuis à son parti sont en hausse.

Idem pour Elisabeth May, la grande gagnante de cette campagne à ce jour, mais dont les gains se limitent pour le moment à un fort capital de sympathie.

Mme May et M. Layton seraient sans doute disposés à pousser un peu plus loin le débat sur les mérites d'une coalition de gauche. (Une coalition électorale, s'entend, pas seulement une alliance informelle et temporaire pour renverser le gouvernement minoritaire ou pour remplacer celui-ci).

Et les libéraux? Ils n'en sont pas là et, pourtant, ce sont eux qui auraient le plus intérêt à tendre la main à leurs adversaires de gauche. Contrairement aux néo-démocrates et aux verts, les libéraux perdent des votes ces années-ci et leur potentiel de croissance est négatif.

La marque libérale est amochée et ses «actions» sont à la baisse. Les finances et le recrutement aussi. Chaque vote de moins prive le parti de 2$ par année en fonds publics, de l'argent qui migre vers ses adversaires. Le Parti libéral est endetté et il recueille moins d'argent. Il est désorganisé et a donc plus de mal à recruter des candidats et des militants, ce qui ne fait qu'aggraver sa situation.

Les libéraux, en un mot, sont pris dans le même cercle vicieux dans lequel est tombé le Parti conservateur, il y a 15 ans.

Au Québec, le Parti libéral est en voie de perdre son statut de parti fédéraliste dominant aux mains des conservateurs. S'il n'est plus là pour donner la réplique au Bloc québécois et pour faire contrepoids à gauche, un autre parti prendra sa place. La nature a horreur du vide, c'est bien connu.

En ce moment, c'est le NPD qui est en meilleure position pour profiter de l'écrasement du Parti libéral. Pas pour rafler 15 ou 20 sièges, bien sûr, mais pour se faire tranquillement une niche. Pour récolter votes et argent et mettre sur pied une véritable organisation.

Le succès attire le succès, un parti qui monte recrute plus facilement qu'un parti qui plante. Parlez-en à Stéphane Dion. D'autant que le NPD, contrairement aux libéraux, peut gruger des votes au Bloc.

On se rend compte, un an plus tard, de l'importance de la victoire historique de Thomas Mulcair dans Outremont pour le NPD. Et de son impact dévastateur pour les libéraux.

M. Mulcair a affirmé récemment que son parti visait entre 6 et 12 sièges au Québec. C'est trop optimiste, mais le NPD est en très bonne position pour garder Outremont et gagner Gatineau avec Françoise Boivin, une ancienne députée libérale de ce comté. En plus d'accroître substantiellement ses appuis.

Par ailleurs, les verts attirent de plus en plus l'attention des électeurs, surtout dans les grandes villes, grugeant eux aussi des votes au Parti libéral. Pas des tonnes, mais chaque vote perdu rapproche les libéraux de la marginalité électorale.

Les libéraux peuvent se bercer d'illusions, se réconforter en pensant à l'époque où ils se disaient eux-mêmes «natural governement party», se persuader que ça ira mieux la prochaine fois avec un nouveau chef, mais le fait est que l'embouteillage à gauche laisse la voie libre à la droite.