Méfiez-vous des bons vieux chèques. Pour un fraudeur, c'est désormais un jeu d'enfant de les encaisser à répétition à l'aide des nouvelles applications mobiles qui permettent de déposer les chèques virtuellement.

Cette technologie est en expansion rapide. Pour 9 % des Canadiens, il s'agissait du principal moyen de déposer un chèque en 2016, alors que l'utilisation de cette méthode était marginale pas plus tard qu'en 2014, selon l'Association des banquiers canadiens (ABC).

Or, la technologie est loin d'être blindée. J'en ai eu la preuve, la semaine dernière, en discutant avec deux soeurs, Sophie Coderre et Lauranne Langlais, qui dirigent chacune leur propre petite entreprise.

Elles avaient toutes deux fait appel aux services d'un même livreur à qui elles avaient fait plusieurs chèques au cours des derniers mois, avant de mettre fin à leur relation d'affaires.

Au cours de l'été, l'individu s'est mis à encaisser leurs chèques à répétition dans différentes institutions financières, parfois en gonflant les montants.

Avec les applications mobiles, le déposant n'a qu'à photographier le chèque à l'aide de son téléphone. Comme le bout de papier reste en sa possession après le dépôt numérique, rien ne l'empêche de l'encaisser encore et encore. L'application de la banque n'y voit que du feu.

« Personne ne vérifie rien. Ce n'est vraiment pas sécuritaire. Pas besoin d'être un hacker professionnel. Monsieur et madame Tout-le-Monde peuvent le faire ! » - Lauranne Langlais

Par exemple, le chèque 007 de Mme Langlais a été encaissé cinq fois depuis la mi-août, parfois pour le vrai montant de 91,98 $, d'autres fois pour 291,98 $. Le fraudeur a ajouté le chiffre 2 devant le véritable montant, sans même modifier la somme écrite en lettres.

L'application n'a jamais remarqué que les chèques portaient tous le même numéro. Elle ne s'est jamais aperçue non plus que le montant inscrit en chiffres avait été grossièrement manipulé. Pas fort !

Le fraudeur a même réussi à encaisser des chèques postdatés qui n'étaient valides qu'à partir de décembre prochain ainsi que des chèques périmés qui étaient trop vieux pour être déposés. Ici encore, l'application n'a jamais décelé que la date était non conforme. Inquiétant.

À quoi bon faire un chèque postdaté, si la personne qui le reçoit peut facilement l'encaisser plus tôt que prévu ? Cela risque de plonger votre compte à découvert et entraîner des frais importants.

Pour sa part, Mme Langlais a vu passer dans son compte près de 2000 $ en trop en quelques semaines. Elle a eu beau avertir la Banque Royale, les mêmes chèques continuent d'être encaissés en boucle, comme dans un cauchemar qui revient sans cesse.

La banque lui a offert de fermer son compte illico pour régler le problème. Mais cette solution ne convenait pas à la femme d'affaires qui a de nombreux chèques postdatés en circulation et toutes sortes de paiements automatiques associés à son compte d'entreprise. Un peu de temps lui était nécessaire avant de pouvoir changer de compte.

Il aura fallu qu'elle se batte avec la banque pour qu'on lui offre finalement de procéder gratuitement à des oppositions à paiement sur les chèques problématiques. La Banque Royale m'a aussi certifié que les deux soeurs avaient été entièrement remboursées pour les sommes prélevées en trop dans leurs comptes.

C'est bien la moindre des choses !

***

Cette histoire prouve qu'il faut scruter attentivement vos relevés de compte. Sinon, vos chèques pourraient être encaissés en double, en triple ou même davantage, sans que la banque lève le petit doigt.

Cette mésaventure démontre aussi que les chèques sont un mode de paiement qui vieillit mal. Les banques suggèrent d'ailleurs à leur clientèle de privilégier d'autres modes de paiement, comme les virements électroniques, pour réduire les risques de fraude.

Déjà, l'usage de chèques a fondu de moitié depuis le début des années 90, au profit des modes de paiement électronique. Mais les institutions financières du pays traitent encore près d'un milliard de chèques par année, selon l'Association canadienne des paiements.

Malheureusement, les fraudes par chèque sont fréquentes, m'a confié Lisanne Roy Beauchamp, chef d'équipe du Centre antifraude de la Gendarmerie royale du Canada. Le plus souvent, les fraudeurs concoctent des chèques frauduleux. À l'aide d'une application mobile, ils les déposent dans le compte d'individus dont ils ont volé l'identité, pour ressortir l'argent tout de suite après.

Rien pour rassurer les deux soeurs qui souhaitent que les applications mobiles soient améliorées pour être parfaitement sécuritaires et que les banques épinglent les fraudeurs pour éviter que d'autres personnes ne soient victimes du même stratagème.

Elles-mêmes ont voulu déposer une plainte à la police contre le fraudeur. Mais on leur a répondu que c'était impossible puisque la banque les avait remboursées, si bien qu'elles n'ont pas subi de dommage. Ce serait donc à la banque, qui est la réelle victime, de porter plainte. Mais la Royale a refusé de me dire si elle le ferait.