Les électeurs sont moins fous qu'on le pense. Bon, d'accord, ils flottent un peu dans la pensée magique. Mais ils sont tout de même plus rationnels qu'on aurait pu le croire.

Sondage après sondage, la vaste majorité des Québécois répond invariablement qu'elle paie trop d'impôt. Mais dans la foulée, elle refuse que l'État réduise les services. Plusieurs souhaitent même un réinvestissement, notamment en santé et en éducation.

Comme on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, cela semble paradoxal à première vue. Mais tout s'explique quand on regarde la plus récente étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.

« Ce n'est pas une incohérence. Il n'y a pas de schizophrénie sociétale au Québec ! », blague le professeur de politique appliquée Jean-Herman Guay, l'un des trois auteurs de l'étude publiée hier.

Si les Québécois trouvent qu'ils paient trop d'impôt, c'est tout simplement parce qu'ils estiment que l'État gaspille leurs précieux deniers à cause de dépenses inutiles, de la corruption et de l'évasion fiscale.

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63 % des Québécois disent payer trop d'impôt.

71 % estiment que les impôts sont mal ou très mal administrés.

68 % pensent que l'État perd beaucoup d'argent à cause de la corruption.

65 % croient que les gouvernements perdent beaucoup d'argent à cause de l'évasion fiscale.

76 % considèrent que l'État fait beaucoup de dépenses inutiles.

Source: sondage CROP réalisé en janvier 2018 auprès de 1000 Québécois

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« Comme ils considèrent que l'État est mal géré, les gens sont convaincus qu'ils pourraient payer moins d'impôt pour le même panier de services, et à la limite avoir plus de services si l'État était mieux géré », résume le professeur de fiscalité Luc Godbout, qui a aussi participé à l'étude.

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Si l'on se fie aux résultats du sondage, l'État est une véritable passoire. Grosso modo, les Québécois pensent que le quart des dépenses pourraient être comprimées si l'État était mieux administré.

« On est tombés en bas de notre chaise quand on a vu ces chiffres-là ! », s'exclame M. Guay. « On voit que nos concitoyens sont habités par une vision que l'État est fondamentalement mal géré. Même si ce n'est qu'une impression, on ne pensait pas que ça avait cette ampleur-là », dit-il.

Voyons les chiffres d'un peu plus près...

D'abord, les Québécois estiment que la corruption chez les fonctionnaires et les politiciens représente jusqu'à 29 % des dépenses du gouvernement. Je comprends que la commission Charbonneau est encore fraîche à leur esprit, mais le Québec n'est quand même pas la Somalie ou le Soudan.

On ne vit pas dans un pays où il faut graisser la patte des fonctionnaires pour obtenir le moindre service. Au contraire, le Canada se classe parmi les pays qui ont le niveau de corruption le plus faible du monde avec les pays scandinaves et la Suisse, selon le palmarès de Transparency International.

Ensuite, les Québécois croient que l'évasion ou l'évitement fiscaux représentent jusqu'à 28 % des dépenses des gouvernements. Bien sûr, les scandales qui ébranlent régulièrement la planète, que ce soit les Panama Papers ou les LuxLeaks, permettent de voir que les gens riches et célèbres et les multinationales se cachent dans les paradis fiscaux.

Mais à ce point-là ? Pour mettre les choses en perspective, disons que l'OCDE estime que l'évitement fiscal par les grandes multinationales représente entre 1 et 2,4 % des profits mondiaux.

Enfin, les Québécois considèrent que les dépenses inutiles grugent 29 % des dépenses des gouvernements. Il est clair qu'il y a un peu de gaspillage dans l'appareil gouvernemental, mais c'est sans commune mesure avec la perception de la population.

Imaginez deux minutes si on réduisait le budget du Québec d'un quart. « C'est, grosso modo, 25 milliards. Pour donner un ordre de grandeur, c'est comme si on coupait la santé de plus de la moitié », illustre le professionnel de recherche Antoine Genest-Grégoire, qui a aussi participé à l'étude.

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Même si tous ces chiffres ne s'additionnent pas, il est clair que la population exagère les problèmes.

Est-ce le reflet des manchettes des médias qui sont rarement très roses ? Est-ce la faute des partis de l'opposition qui mettent toujours le doigt sur le bobo ?

Peu importe. À l'aube de la campagne électorale au Québec, les électeurs ne doivent pas se bercer d'illusions et croire qu'on pourrait réduire les dépenses de l'État et leur facture d'impôt en claquant des doigts.

À la lumière du sondage, les partis politiques seront tentés de mettre l'accent sur la réduction des dépenses et la meilleure gestion de l'État. Tout le monde est pour la tarte aux pommes ! Ce genre de promesse ne peut que faire l'unanimité, alors que les baisses d'impôt sont parfois perçues comme bassement électoralistes.

Mais les politiciens devront aller au-delà du simple discours de dénonciation du gaspillage et amener des mesures concrètes et chiffrées qui permettraient de réduire les dépenses sans contrecoups pour les citoyens.

Ce n'est pas si simple. Quand les libéraux ont lancé leur offensive de « rigueur » budgétaire, l'exercice a vite été qualifié d'austérité. Le Protecteur du citoyen a d'ailleurs établi que cela avait miné les services à la population.

Pourtant, il n'y a jamais eu de véritable diminution des dépenses de l'État, juste un ralentissement de leur rythme de croissance. S'il fallait réduire les dépenses de 25 %, ayoye docteur !

Oui à la réduction du gaspillage, de la corruption et de l'évasion fiscale. Non à la pensée magique.

> Consultez l'étude la Chaire