Le consommateur jouait avec le feu. Il sautait sur les taux promotionnels offerts par les cartes de crédit pour financer sa voiture et d'autres achats majeurs. Un jour, à cause d'un banal retard de paiement, le taux promotionnel lui a été retiré d'un coup sec.

À 24 % d'intérêts, impossible d'assumer les mensualités. Le cycle de l'endettement s'est installé. L'homme est tombé en recouvrement, raconte Jean-Mathieu Forget, directeur de l'ACEF de la Péninsule à Matane.

Ne croyez pas que ce consommateur casse-cou était un jeune sans expérience du crédit. Pas du tout. Il s'agissait d'un retraité de 70 ans. Et il n'est pas un cas à part. De plus en plus, retraite rime avec dettes.

Depuis cinq ans, les aînés s'endettent à un rythme préoccupant, a confirmé cette semaine le rapport Tendances de risque de crédit diffusé par l'agence Equifax Canada.

En fait, les dettes de consommation (sans l'hypothèque) des personnes âgées de 65 ans et plus ont grimpé de 68 % depuis cinq ans. C'est presque trois fois plus que le taux de croissance de l'ensemble dans la population.

Quant aux personnes de 56 à 65 ans, leurs dettes ont augmenté de 40 %, ce qui en fait la deuxième catégorie d'âge où les dettes ont crû le plus vite.

Aujourd'hui, la moitié des ménages de 65 ans et plus ont recours à l'endettement. C'est nettement plus qu'il y a 15 ans, alors que seulement 30 % d'entre eux avaient des dettes à rembourser, indique Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins.

SOMMET DE FAILLITES

Conséquemment, les personnes aux cheveux gris ont de plus en plus de mal à payer leurs comptes.

Désormais, les personnes de 56 ans et plus sont responsables de plus du quart (27 %) des faillites et des propositions de consommateurs au Québec, une variation de presque 4 points de pourcentage par rapport à 2000. C'est chez les 65 ans et plus que la situation s'est la plus détériorée.

En passant, le niveau d'insolvabilité des consommateurs québécois vient d'atteindre un sommet inégalé de 0,2 %. Du jamais-vu, même au pire moment de la crise du crédit.

« Quand on regarde le PIB officiel, la province n'est pas en récession. Cependant la pression est sur le consommateur qui a atteint un niveau d'étranglement élevé. » - Mario Gagnier, conseiller national en chef chez Equifax

Cette pression est encore plus forte chez les aînés.

MANGER SA MAISON

Les aînés d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Ce sont maintenant les baby-boomers qui arrivent à la retraite. Nés entre 1946 et 1964, ils ont présentement entre 52 et 70 ans.

Du temps de mes grands-parents, il fallait rembourser sa maison le plus vite possible. Les dettes n'étaient pas bien vues, encore moins à la retraite. Le capital était sacré. Les aînés étaient prêts à manger leurs oeufs, mais pas leur poule.

La chute des taux d'intérêt a changé la donne. Désormais, les placements à revenus fixes ne rapportent que des poussières. Par contre, le prix des maisons a grimpé au plafond.

Les boomers utilisent donc leur maison comme guichet automatique. Certains ont opté pour une hypothèque inversée. Beaucoup d'autres ont contracté une marge de crédit hypothécaire, le produit qui a le plus contribué à gonfler l'endettement des personnes de plus de 55 ans et plus, avec les cartes de crédit et les prêts-auto, rapporte M. Gagnier.

Ça se sent sur le terrain. M. Forget rencontre un nombre grandissant de ménages dans la cinquantaine qui réhypothèquent leur maison pour consolider des dettes ou pour faire des rénovations.

Ce faisant, ils mettent en péril l'actif accumulé durant leurs années de travail. 

Quand ils arrivent à la retraite, leurs paiements hypothécaires ne sont pas encore terminés. Et leurs revenus baissent. L'équation ne fonctionne plus.

Tôt ou tard, ils devront donner un coup de barre.

« Mais les personnes ne sont pas toujours prêtes à faire face à la diminution de revenus à la retraite », indique M. Forget qui participait, cette semaine, au lancement d'une campagne pour lutter contre le surendettement.

Avec la campagne « Des communautés plus futées que le crédit », la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ) veut proposer aux consommateurs des alternatives au crédit : coopérative d'habitation, jardin communautaire, groupe d'achat pour se procurer des aliments directement auprès du producteur.

AVENIR SOMBRE

Je vous le dis tout de suite, l'endettement des personnes âgées ne risque pas d'aller en s'améliorant. Les cohortes plus jeunes n'ont plus autant accès à un régime de retraite avec leur employeur que la génération des baby-boomers qui est maintenant à la retraite.

Laissés à eux-mêmes, les travailleurs ont pris beaucoup de retard par rapport à leur objectif d'épargne retraite, démontrait une enquête diffusée au début de septembre par l'Association canadienne de la paie. On y apprenait que la vaste majorité des Québécois (73 %) estiment avoir épargné moins du quart de ce dont ils auront besoin au moment de la retraite.

Il serait temps de retrousser ses manches, car les jeunes qui ont déjà payé leur maison le gros prix ne pourront probablement pas compter sur l'appréciation future de leur résidence pour sauver les meubles à la retraite.