Comme la énième suite d'un film qu'on connaît déjà trop bien, Ottawa revient à l'attaque avec son projet de commission des valeurs mobilières pancanadienne.

Cette semaine, le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a déclaré qu'il irait de l'avant avec ce projet dont l'incarnation précédente avait pourtant été rejetée par la Cour suprême en 2011. Il est assez choquant de voir les libéraux reprendre si vite le flambeau des conservateurs sans tenir compte une seconde de l'opposition de l'Alberta et du Québec.

Les provinces n'auront d'autre choix que de retourner au front. Jusqu'ici, la communauté des affaires du Québec est restée plutôt silencieuse, elle qui s'était mobilisée en 2010 pour lutter contre l'offensive précédente d'Ottawa.

Certains espéraient peut-être que le projet retomberait à plat avec le changement de gouvernement. D'autres ont peut-être l'impression que la version nouvelle mouture du projet est plus acceptable.

Ottawa parle d'ailleurs d'un projet « coopératif » et « volontaire » qui respecte les paramètres de la Cour suprême.

Mais tout cela n'est que de la poudre aux yeux. C'est encore le vieux rêve de commission unique qui reparaît sous un nouveau maquillage. C'est toujours le même désir de Toronto de faire main basse sur l'encadrement des valeurs mobilières de l'ensemble du Canada.

Cela ne date pas d'hier. La première tentative fédérale remonte à 1935. Et depuis les années 60, pas une décennie n'a passé sans que le fédéral tente de s'immiscer dans ce champ de compétences des provinces.

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Il est vrai que la Cour suprême a entrouvert la porte à Ottawa en lui reconnaissant le droit de lutter contre les « risques systémiques » qui menacent les marchés financiers. Mais le projet actuel va 100 fois plus loin.

En gros, on demande aux provinces d'abroger leur loi sur les valeurs mobilières pour en adopter une nouvelle qui serait identique dans toutes les provinces participantes. On n'imposerait pas une loi nationale, mais c'est tout comme ! Les lois resteraient provinciales, mais seulement en façade.

Le pire, c'est que l'ébauche de cette fameuse loi uniformisée fait déjà grommeler les grands cabinets d'avocats de Toronto, qui ne digèrent pas qu'elle soit largement inspirée de la loi de la Colombie-Britannique.

Ça vous donne une idée qu'ils veulent que ça marche à leur manière !

Une fois la loi uniformisée adoptée, les provinces participantes auraient les mains liées, car modifier cette loi serait presque aussi difficile que d'amender la Constitution !

Au lieu de modifier la loi, on ajusterait plutôt les règlements, qui, eux, seraient édictés par la nouvelle commission unique. Autrement dit, les seuls qui auraient une véritable autorité seraient à Toronto, même si on promet qu'il y aurait un mécanisme de consultation.

Bien sûr, Ottawa répète que les provinces ont le choix d'y adhérer ou pas. Mais qu'adviendra-t-il des provinces qui n'embarquent pas ? Qu'adviendra-t-il des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), un regroupement qui joue actuellement le rôle de chef d'orchestre entre les provinces ? On ne le sait pas.

Ottawa a beau dire que le futur régime est volontaire, en réalité, les provinces non participantes seraient marginalisées. Le pôle décisionnel serait aspiré vers Toronto. Conséquence : une perte d'autonomie pour l'économie du Québec, un affaiblissement de sa place financière qu'on tente par tous les moyens de revitaliser.

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Certains diront que Québec s'oppose au régulateur unique par pur protectionnisme. Mais ce n'est pas le cas.

Le fait est que le Canada possède déjà un système coopératif avec les ACVM. Et il fonctionne bien.

À preuve, le rapport Doing Business 2013 de la Banque mondiale, une référence dans le domaine, a classé le Canada au 4e rang pour la protection des investisseurs, devant les États-Unis (6e rang) et le Royaume-Uni (10e rang), soulignaient deux anciens ministres des Finances du Québec, Raymond Bachand et Monique Jérôme-Forget, dans une lettre ouverte publiée durant la période des Fêtes.

Il est faux de prétendre qu'un organisme unique et centralisé ferait un meilleur travail. Aux États-Unis, la toute-puissante Securities and Exchange Commission (SEC) n'a pas su prévenir la crise du crédit ni les vastes fraudes à la Madoff et à l'Enron.

C'est aussi un mythe de dire que le système canadien est compliqué et qu'il force les gens à traiter avec 13 commissions différentes. Grâce au système de passeports instauré en 2008, les démarches sont harmonisées et les émetteurs ne font affaire qu'avec un seul organisme. Tous les territoires et toutes les provinces participent à ce système... sauf l'Ontario.

Il faut croire que l'Ontario a peur de compléter la démonstration que le système fonctionne à merveille en y adhérant.

Notre système de réglementation des valeurs mobilières pourrait-il être amélioré ? Bien sûr ! Si on avait mis l'énergie là-dessus depuis 10 ans, au lieu de se battre devant les tribunaux, on aurait déjà fait de belles avancées.

Dommage que le nouveau gouvernement libéral n'ait pas profité de son arrivée au pouvoir pour repartir sur de nouvelles bases.

Espérons que Québec inc. se mobilisera à nouveau. Espérons aussi que les ministres québécois de Justin Trudeau auront le cran de faire valoir les intérêts du Québec au sein du caucus.