Je vous l'avais écrit au lendemain de l'élection de Justin Trudeau: il y a de savoureuses économies d'impôt qui pendent au bout du nez des familles canadiennes. À partir de l'an prochain, la plupart auront droit à des économies d'impôt de 1500$, 2000$, voire davantage.

Certaines familles de la classe moyenne se retrouveront avec 5 à 10% de plus d'argent dans leurs poches à la fin de l'exercice, ce qui est loin d'être anodin.

Qui aura combien au juste? Je peux maintenant vous fournir plus de détails grâce à une étude publiée, hier, par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques qui a analysé 42 scénarios, selon le type de ménage et le niveau de revenus.

La Chaire a calculé l'effet d'une série de promesses électorales du Parti libéral. Je vous rappelle qu'à partir de l'été prochain, Ottawa a l'intention de remplacer la Prestation universelle pour la garde d'enfant (PUGE), la prestation fiscale pour enfant ainsi que le fractionnement de revenu pour les familles par une seule et unique Allocation canadienne aux enfants (ACE).

Cette allocation non imposable sera plus généreuse pour la vaste majorité des familles, surtout celles qui ont des revenus plus faibles.

À partir de 2016, Ottawa devrait aussi abaisser de 22,0% à 20,5% le taux d'imposition des contribuables qui gagnent entre 45 000 et 90 000 environ, procurant une économie d'impôt maximale de 560$. Ces largesses seront presque entièrement financées par une augmentation du taux d'imposition des plus riches qui payeront 33% au lieu de 29% sur leurs revenus excédant 200 000$.

Tout un charivari fiscal!

Combien? Pour qui?

Les familles qui comptent sur deux revenus d'emploi s'en sortiront avec des gains substantiels. Prenez une famille de deux enfants où les parents ont des revenus combinés de 50 000$ (60%/40%). Cette maisonnée gagnera plus de 4500$, une augmentation de 9% de ses revenus disponibles.

De leur côté, les familles traditionnelles comptant sur un seul salaire seront un peu moins gâtées, car elles perdront le bénéfice du fractionnement du revenu. Les plus riches seront particulièrement touchées, car elles n'auront pas droit à la nouvelle allocation et elles paieront beaucoup plus d'impôt. Résultat: une famille de deux enfants qui compte sur un seul revenu d'un demi-million perdra plus de 13 000$ par année, soit près de 5% de son revenu disponible.

Et les célibataires dans tout ça? Peu d'entre eux profiteront de la manne, car dans quatre cas sur cinq leur revenu est inférieur au seuil qui permet d'obtenir une baisse d'impôt. Au Québec, le revenu moyen des personnes seules se situe à 37 800$.

Québécois gagnants, Québec perdant

Dans l'ensemble, les Québécois sortiront gagnants de la réforme fiscale promise par Justin Trudeau, assure le titulaire de la Chaire, Luc Godbout, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke.

Les changements au barème d'impôt joueront en faveur du Québec, où l'on compte moins de contribuables à revenu élevé que dans les autres provinces, toutes proportions gardées.

Alors que les Québécois représentent 24% de l'ensemble des contribuables canadiens, les Québécois qui gagnent plus de 150 000$ ne forment que 16% des contribuables de cette catégorie au Canada. En Ontario et surtout en Alberta, c'est l'inverse.

Une estimation sommaire indique que les économies d'impôt des Québécois de la classe moyenne dépasseront d'environ 100 millions les hausses d'impôt des mieux nantis, précise M. Godbout.

Toutefois, la réforme proposée par les libéraux dégarnira les coffres du gouvernement du Québec d'au moins 175 millions. Comme la PUGE était imposable, tant au fédéral qu'au provincial, son abolition réduira les revenus des provinces.

Incitation au travail

La réforme de Justin Trudeau aura aussi un effet secondaire intéressant. Non seulement les prestations de la nouvelle ACE seront-elles plus élevées, mais encore elles fondront moins rapidement que l'ancienne prestation pour enfants au fur et à mesure que les revenus de la famille augmentent.

Cela réduira les distorsions fiscales nocives qui font en sorte que certaines familles à faibles revenus se retrouvent avec un taux marginal d'imposition implicite qui frôle 80%.

Grâce au taux de réduction plus lent de l'ACE, le taux sera sous la barre de 70%... ce qui reste trop élevé. Un travailleur n'est pas encouragé à travailler davantage quand il sait qu'un dollar de salaire de plus le privera de 70 cents de prestations de toutes sortes.

Pour s'attaquer à ce problème, Québec a annoncé la création d'un «bouclier fiscal» à partir de l'an prochain. Cette mesure permettra aux gens qui augmentent leurs revenus d'effacer les trois quarts de la perte de la prime au travail et du crédit d'impôt pour frais de garde, mais pour un an seulement.

Mais il serait possible d'atténuer davantage les effets pervers de notre système fiscal en arrimant un peu mieux les mesures fédérales et provinciales.

Ainsi, Québec pourrait demander à Ottawa de moduler sa future ACE différemment pour mieux tenir compte des programmes qui existent déjà chez nous. Ce genre d'accommodement s'est déjà vu dans le passé. Par exemple, l'ancienne prestation fiscale pour enfant était modulée différemment en Alberta.

Remarquez que si Ottawa se montre inflexible, Québec pourrait aussi ajuster la modulation de ses propres programmes, comme le soutien aux enfants ou la prime au travail, pour éviter les taux d'imposition un peu trop fous.

Variation du revenu disponible au Québec en 2015

Revenu annuel: 25 000$ | 50 000$ | 75 000$ | 100 000$ | 150 000$ | 250 000$

Personne seule: 0 | 66 | 379 | 560 | 560 | (1110)

Couple sans enfants: 0 | 0 | 4 | 192 | 751 | 1120

(répartition 60-40%)

Couple avec deux enfants: 2041 | 4583 | 3069 | 2779 | 1679 | (599)

(répartition 60-40%)

Couple avec deux enfants: 2197 | 4340 | 1793 | 1598 | (422) | (4667)

(répartition 100% -0%)

Famille monoparentale avec un enfant: 1221 | 2446 | 1929 | 1911 | 760 | (2295)

Source : Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques