On se serait cru au Far West cette semaine à la Bourse. La multinationale lavalloise Valeant a été enduite de goudron et roulée dans la plume par la firme d'analyse Citron, qui a écrit un rapport au style plutôt cow-boy pour désarçonner la superstar de la Bourse canadienne.

Citron n'y est pas allé de main morte en comparant Valeant au géant de l'énergie Enron, qui s'est effondré en 2001 après l'éclatement du pire scandale comptable de l'histoire.

Dans son rapport, la firme accuse Valeant de fraude et prétend qu'elle a mis en place un réseau de pharmacies fantômes lui permettant de comptabiliser dans ses revenus des médicaments qui n'ont pas été réellement vendus, ce que la direction de Valeant réfute.

Quoi qu'il en soit, le patron de Citron, Andrew Left, n'a pas raté son coup, étant un spécialiste dans la vente à découvert, une stratégie qui consiste à miser sur la baisse d'un titre. Cette semaine, Valeant a perdu le tiers de sa valeur boursière, malgré un rebond vendredi. Des milliards partis en fumée !

Faut-il se surprendre de cette déconfiture ? Oui et non.

Depuis cinq ans, la valeur de l'action de Valeant a été multipliée par 12. En juillet dernier, la société pharmaceutique est même devenue la plus importance société de la Bourse canadienne, avec une valeur boursière de 116 milliards de dollars, détrônant la Banque Royale.

Ce n'est pas la première fois que la Royale se fait ravir temporairement sa couronne. Depuis 2000, Nortel, Manuvie, EnCana, BlackBerry, Potash et Barrick Gold ont été les reines de la Bourse canadienne.

Mal leur en prit. Toutes ont ensuite été sévèrement rabrouées. Une malédiction digne des Rois maudits, comme je l'avais raconté lors de l'effondrement de BlackBerry.

Au-delà des superstitions, il faut aussi souligner que Valeant est connue pour ses tactiques fiscales « ratoureuses », qui lui permettent de payer à peine 5 % d'impôt, même si environ la moitié de ses revenus proviennent des États-Unis... où le taux d'imposition des entreprises est de 35 %.

L'entreprise qui multiplie les acquisitions a aussi la fâcheuse habitude de sabrer les activités de recherche et développement des entreprises qu'elle avale et d'augmenter le prix de ses médicaments.

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Mais que penser des accusations de fraude comptables qui pèsent maintenant sur Valeant ? Dans ce genre de procès sur la place publique, il est bien difficile pour les actionnaires de déterminer si les allégations sont justifiées ou pas.

C'est louche, mais les preuves manquent. « Le rapport de Citron pose de bonnes questions, mais il n'y a pas encore de réponses claires », estime Jean Bédard, professeur titulaire de la chaire de recherche en gouvernance de sociétés de l'Université Laval.

Mais on ne peut pas reprocher aux analystes de faire leur travail. Ils sont si nombreux à recommander invariablement l'achat des actions, espérant que leur firme de courtage obtiendra le prochain contrat de financement de la firme en question, qu'on serait bien fou de se plaindre quand un mouton noir débusque un scandale et recommande de vendre.

Tout comme les journalistes, ces analystes sont un rempart contre les malversations.

Dès 1999, c'est justement un analyste qui avait mis la Securities and Exchange Commission (SEC) sur la piste de Bernard Madoff, après avoir démontré que ses rendements étaient mathématiquement impossibles à obtenir. Malheureusement, la SEC n'a jamais cru que Madoff, un financier bien en vue, ai pu être l'artisan du pire Ponzi jamais orchestré.

Cela mène à se demander si les autorités réglementaires sont assez proactives. Si les auditeurs ont les dents assez longues.

Après Enron, de nombreuses réformes ont eu lieu afin de resserrer les règles du jeu.

Pour assurer l'indépendance de leur auditeur externe, les entreprises n'ont plus le droit de confier d'autres mandats de consultation (beaucoup plus lucratifs) au même cabinet de comptable.

Aussi, le comité d'audit qui sélectionne les auditeurs doit désormais être composé à 100 % de membres indépendants de la société, mentionne M. Bédard.

Et il faut dire que les auditeurs ont eu un sérieux coup de semonce quand ils ont vu Arthur Anderson, l'un des plus grands cabinets comptables du monde, voler en éclats à cause de son implication dans l'affaire Enron.

Pourtant, cela n'a pas empêché Ernst & Young d'être poursuivie pour sa négligence dans la surveillance de la Torontoise Sino-Forest. EY s'est entendue pour payer 117 millions aux actionnaires de Sino-Forest, le montant le plus important versé par des auditeurs au Canada.

Mais cela reste bien loin des 6 milliards de dollars que Sino-Forest valait avant que le scandale soit déterré en 2011, cette fois encore par un analyste amateur de vente à découvert.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Source : Bloomberg