On dit souvent que nous sommes tous égaux face à la mort. C'est faux! Les inégalités sociales nous suivent jusque dans la tombe.

Une étude inusitée réalisée par la firme Morneau Shepell en collaboration avec l'Université de Montréal nous en donne maintenant la preuve. Confirmant l'intuition des actuaires, l'étude établit clairement l'écart d'espérance de vie entre les différents métiers dans la fonction publique municipale.

Au Québec, les cadres et les professionnels municipaux vivent plus longtemps que les cols bleus. L'écart est de 18 mois chez les hommes et de 12 mois chez les femmes.

Regardons les chiffres de plus près.

Un retraité âgé de 65 ans qui travaillait comme cadre ou comme professionnel peut espérer vivre jusqu'à 88 ans (moyenne hommes-femmes confondus). De son côté, un col bleu retraité a une espérance de vie de seulement 86,8 ans. Il s'agit de l'espérance de vie la plus faible de toute la fonction publique municipale.

Juste derrière les cadres arrivent les policiers avec une espérance de vie de 87,7 ans, qui est légèrement supérieure à celle des cols blancs (87,5 ans). Il faut croire qu'on s'use davantage en restant assis derrière son ordinateur à longueur de journée qu'en faisant la patrouille!

Quant aux chauffeurs d'autobus et aux pompiers, leur espérance de vie tourne autour de 87 ans, soit un an de moins que les cadres.

Ces chiffres cachent une bonne nouvelle pour les régimes de retraite des municipalités auxquels Québec veut imposer une cure minceur.

En effet, l'étude de Morneau Shepell démontre que tous les groupes d'employés municipaux québécois ont une espérance de vie inférieure à celle de la table de mortalité canadienne du secteur public (88,1 ans).

Dans cette table, les professionnels de l'enseignement et de la santé sont largement représentés, ce qui biaise les résultats pour les autres employés du secteur public, explique Jérôme Dionne, associé chez Morneau Shepell.

Présentement, les actuaires utilisent la table canadienne du secteur public comme référence pour déterminer le financement requis pour les régimes de retraite municipaux, même s'ils peuvent utiliser leur jugement pour y apporter des ajustements au besoin.

Désormais, ils seront mieux outillés pour établir l'espérance de vie très précise d'un régime de retraite en particulier. Il faut dire qu'avec un échantillon de 27 000 personnes, l'étude de Morneau Shepell a de la crédibilité.

Si on diminue l'espérance de vie, on réduit aussi l'argent nécessaire pour financer la retraite des employés municipaux. Du coup, cela pourrait dégonfler les déficits des régimes de retraite qui pèsent très lourd sur les finances des municipalités.

Mais au-delà des régimes de retraite des employés municipaux, l'étude de Morneau Shepell apporte un éclairage fort utile sur tout le débat entourant l'âge de la retraite. Jusqu'ici, l'écart d'espérance de vie entre les métiers n'était pas ou était peu documenté au Canada.

Il est pourtant au coeur des discussions sur le report de l'âge de la retraite en Europe. En France, par exemple, des employés sont descendus dans les rues pour dénoncer la pénibilité de certains métiers, brandissant des pancartes sur lesquelles ont pouvait lire: «Postures pénibles», «Charges lourdes» ou encore «Produits toxiques».

De nombreuses études ont mis en lumière les écarts d'espérance de vie entre les catégories d'emplois. Les hommes cadres vivent en moyenne six ans de plus que les ouvriers. Chez les femmes, l'écart est de trois ans, a déjà établi l'Institut national de la statistique et des études économiques.

L'écart est encore plus frappant quand on compare l'espérance de vie en bonne santé. Les cadres profitent alors de neuf ans en bonne santé de plus que les ouvriers. Neuf ans de retraite en pleine forme, c'est une fameuse différence!

Après avoir reporté de deux ans l'âge de la retraite (de 60 à 62 ans), la France a donc choisi d'instaurer le «compte personnel de prévention de la pénibilité».

Grâce à ce nouveau mécanisme, les travailleurs accumuleront des points lorsqu'ils seront exposés à une dizaine de facteurs de risque (travail de nuit, travail répétitif, température et bruit extrêmes, etc.). Ces points leur permettront de travailler à temps partiel à la fin de leur carrière ou de prendre leur retraite plus tôt.

Cette mesure permettra ainsi de réparer l'injustice sociale liée à l'espérance de vie réduite des gens qui exercent un métier pénible, même si elle fait crier le patronat qui la juge trop complexe à administrer.

Chez nous, la pénibilité du travail n'est pas prise en compte dans les régimes de retraite publics. Par exemple, Ottawa a annoncé le report de 65 à 67 ans de l'âge d'admissibilité à la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) pour tout le monde.

Or, cette application one size fits all aura des conséquences plus lourdes pour ceux qui exercent un métier difficile.

Espérance de vie d'un retraité du secteur municipal québécois âgé de 65 ans au 1er janvier 2015

Métier Âge moyen au décès*

Cadres et professionnels 88,0 ans

Policiers 87,7 ans

Cols blancs 87,5 ans

Chauffeurs d'autobus 87,1 ans

Pompiers 87,0 ans

Cols bleus 86,8 ans

Table canadienne tous secteurs 87,8 ans

Table canadienne secteur privé 87,2 ans

Table canadienne secteur public 88,1 ans

* Moyenne hommes-femmes. Les résultats de l'étude démontrent que les femmes vivent en moyenne deux ans de plus que les hommes.

Source : Morneau Shepell et Université de Montréal