Après les 32 décès de la Résidence du Havre à L'Isle-Verte, personne ne s'offusque que Québec oblige les résidences privées pour aînés à installer des gicleurs. Mais le coût des travaux, évalué à plus de 250 millions, pourrait mettre en péril certaines résidences, même si le gouvernement vient de leur accorder une aide de 116 millions dans son dernier budget.

Les aînés seront gagnants sur le plan de la sécurité, pas de doute. Mais si les résidences augmentent le loyer ou, pire, si elles ferment leurs portes, des personnes âgées pourraient devoir quitter leur résidence, craint le Réseau FADOQ, qui vient de compléter une étude sur l'hébergement des aînés remise en exclusivité à La Presse.

Déjà, il n'est pas facile de trouver de l'hébergement dans son patelin à prix abordable, d'où la nécessité de réfléchir sur la mutation et la privatisation qui s'opèrent en ce moment dans le domaine des résidences pour personnes âgées.

Depuis cinq ans, le réseau des centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) a perdu environ 1000 places. Ce surprenant déclin de 3 % s'est produit alors même que le tsunami gris approche. D'ici cinq ans, les premiers baby-boomers auront 75 ans, l'âge où plusieurs commencent à migrer vers une résidence.

Parallèlement, le nombre de résidences privées a aussi fondu. Depuis 2006, quelque 500 établissements ont disparu. Il en reste environ 1900 aujourd'hui.

Plusieurs jugeaient trop contraignante ou trop coûteuse l'obtention de la nouvelle certification imposée par Québec. Certaines résidences ont fermé leurs portes, forçant les aînés à déménager, avec tout le stress que cela comporte.

D'autres ont changé de vocation : elles sont devenues de simples complexes locatifs en cessant d'offrir au moins deux services (loisir, alimentation, etc.), la balise qui fait qu'on les classe comme des résidences pour aînés. Résultat ? Les locataires n'ont plus de services. Ils se retrouvent dans un complexe qui n'est plus surveillé et qui leur laisse peu de recours pour se plaindre en cas de problème.

Dans certains cas, l'écrémage provoqué par l'arrivée de la certification a eu du bon. Mais il a nui à la diversité de l'offre, surtout du côté des logements abordables.

Ce n'est pas qu'il y a moins de chambres pour les aînés. Au contraire, les grands groupes de résidences privées pour aînés investissent des milliards pour bâtir des complexes de grande taille.

Aujourd'hui, 65 % des logements disponibles se trouvent dans des résidences de plus de 100 chambres ou appartements. Elles sont plus neuves, offrent plus de service... mais elles sont aussi plus chères.

Combien, au juste ?

***

Dans une résidence privée, le coût moyen d'une place standard se situe à 1557 $ par mois pour une personne autonome. Le crédit d'impôt pour maintien à domicile permet d'absorber une partie de la facture. On peut l'évaluer à 280 $ par mois, à l'aide de la calculatrice de Revenu Québec.

Malgré tout, la personne âgée paiera près de 15 300 $ par année pour sa résidence. C'est énorme quand on sait que le revenu disponible des femmes de 75 ans et plus n'est que de 17 900 $ en moyenne.

Pour une personne en perte d'autonomie, la facture est encore plus difficile à avaler. Le coût se situe à 2656 $ par mois. Bien sûr, il s'agit d'une moyenne, car certains établissements privés exigent plus de 5000 $ par mois.

Mais restons avec la moyenne. Même en soustrayant le crédit d'impôt (594 $ par mois), la personne âgée doit sortir de ses poches près de 24 750 $ par année.

Cela représente 3300 $ de plus qu'une personne non autonome qui vit en CHSLD. Le réseau public demande une contribution mensuelle de 1789 $ par mois, qui peut toutefois être moins élevée pour les personnes à faibles revenus.

***

Certaines personnes qui ont des revenus plus élevés peuvent faire le choix de payer plus cher pour une résidence privée parce qu'elle correspond mieux à leurs besoins.

Mais les personnes à plus faibles revenus ont-elles vraiment le choix d'aller vers le privé ? S'y retrouvent-elles faute de place dans le réseau public ? 

Voici un indice : en 1990, une personne âgée entrait au CHSLD lorsqu'elle avait besoin de 1 h 20 de soins quotidiens. Aujourd'hui, c'est autour de 3 h. Et même là, ce n'est pas instantané. L'an dernier, on comptait 3740 personnes sur la liste d'attente, l'équivalent de 10 % des places disponibles.

Rien d'étonnant quand on sait que le nombre de personnes âgées est en ascension, mais que le nombre de places en CHSLD ne cesse de décroître, ce qui est plutôt incongru.

Mais pour Québec, il s'agit d'une question de coût. Le coût total d'une place en CHSLD s'élève à 216 $ par jour, soit près de 79 000 $ par année. Dans une résidence privée, c'est beaucoup moins et ce n'est pas le gouvernement qui paie le plus gros de la facture, qui s'élève à 32 000 $ en moyenne.

Mais tout le monde n'a pas les moyens de payer une résidence privée, ce qui est préoccupant.

« Le gouvernement crée un environnement d'affaires très favorable aux grands groupes privés. Où est-ce que ça va nous mener ? », se demande Marco Guerrera, responsable des dossiers sociaux à la FADOQ.

« Qu'est-ce qu'on veut faire pour s'occuper de nos aînés dans le futur ? C'est un des grands défis de la santé au cours des 20 prochaines années. Mais il n'y a pas encore eu de grande réflexion sur le sujet », déplore-t-il.

Il est grand temps qu'on se questionne sur le sort qu'on réserve à nos parents.