Les investisseurs doivent-ils se réjouir ou s'inquiéter du nouveau boom de fusions et acquisitions qui soulève les marchés boursiers mondiaux?

Plus d'une fois dans le passé, ces mégatransactions ont été un signe annonciateur de ressac boursier. La dernière vague de grands mariages en 2007 a été suivie par la crise du crédit. Et celle de 2000 s'est terminée avec l'éclatement de la bulle des technologies.

Après des années de vaches maigres, voilà que les fusions et acquisitions sont bel et bien reparties en 2014. À l'échelle mondiale, elles ont atteint 1200 milliards* au cours des quatre premiers mois de l'année, en hausse de 42% par rapport à l'an dernier, pour atteindre leur plus haut niveau depuis 2007, selon Dealogic.

Les premiers appels publics à l'épargne (PAPE) font aussi les manchettes. Société-phare du commerce électronique en Chine, Alibaba planche ces jours-ci sur son entrée en Bourse, une opération qui lui permettrait de récolter plus de 20 milliards, ce qui pourrait en faire le plus important PAPE de l'histoire, devant Agricultural Bank of China (22 milliards) et Visa (20 milliards).

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Du côté des fusions et acquisitions, un coup fumant n'attend pas l'autre. On apprenait dimanche que la société allemande Siemens convoite les activités d'énergie de la française Alstom, que l'américaine General Electric voudrait acheter pour 13 milliards.

Les annonces se bousculent dans le secteur pharmaceutique. Le géant américain Pfizer veut gober son concurrent britannique AstraZeneca pour la rondelette somme de 100 milliards. Et chez nous, la québécoise Valeant vient de lancer une offre d'achat hostile de 45 milliards sur le fabricant californien du Botox, Allergan.

Le secteur de la technologie aussi est en pleine effervescence, notamment avec l'annonce en février dernier de l'acquisition par Facebook de WhatsApp: une facture de 19 milliards pour une application de messagerie qui n'existait même pas il y a cinq ans!

En fait, depuis le début de 2014, les fusions et acquisitions dans le secteur de la technologie se sont chiffrées à 94 milliards, presque le double de l'année précédente. Il s'agit d'un niveau record depuis 2000, année qui avait connu un départ phénoménal avec un lot de transactions d'une valeur de 208 milliards.

Vous souvenez-vous de l'achat de Time Warner par America Online? Une bagatelle de 165 milliards! On parlait alors de la transaction du millénaire, de la convergence des médias. Mais le modèle d'affaires en a pris pour son rhume quand la bulle des sociétés point-com s'est dégonflée.

C'est loin d'être la seule mégafusion qui a tourné au vinaigre. En 2007, la Royal Bank of Scotland (RBS) avait ravi ABN AMRO à l'américaine Barclays en offrant 99 milliards, la plus importante transaction de l'année. Mais le mariage s'est terminé dans les larmes, l'année suivante, avec l'écroulement de l'immobilier et des hypothèques à risque. RBS a dû être renflouée aux frais des contribuables.

Le cycle a tendance à se répéter. Les transactions culminent, puis la Bourse bascule.

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Mais cela ne veut pas dire qu'il faut courir aux abris. Évidemment, la Bourse américaine a rebondi de 180% depuis son creux de 2009, touchant un sommet historique ce printemps. Les actions ne sont plus une aubaine. En moyenne, les sociétés se négocient à 15 fois leurs bénéfices, tout près de la moyenne historique, indique Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale.

Mais selon lui, il y a une grosse différence entre le boom actuel de transactions et les épisodes précédents. «Cette fois-ci, nous pouvons difficilement dire que la vague de fusions et acquisitions se produit en fin de cycle, car la Réserve fédérale n'a même pas commencé à hausser ses taux», dit-il.

Ainsi, la vague pourrait continuer de pousser les ratios cours-bénéfice un peu plus haut, même si les années de croissance modérée qui nous attendent vont calmer les ardeurs des investisseurs.

Le Financial Times fait ressortir une autre différence entre le récent boom et les cycles précédents. Plus des trois quarts des acquisitions (77%) annoncées depuis le début de l'année l'ont été par des entreprises (la proportion la plus forte depuis presque 20 ans). C'est bien différent de 2007, alors que presque la moitié des transactions étaient le fait de fonds spéculatifs, des spécialistes d'achat par endettement ou d'autres groupes financiers.

Aujourd'hui, on assiste davantage à des acquisitions stratégiques, plutôt que spéculatives, menées par des sociétés bien capitalisées qui financent la transaction avec un mélange d'argent et d'actions, plutôt que par endettement.

Peut-être. Mais la faiblesse des taux d'intérêt a créé des conditions de financement extrêmement alléchantes pour les entreprises qui ne se sont pas privées, ces dernières années, pour augmenter leurs dettes. «Le levier revient dans le système», prévient M. Marion.

Mais pour l'instant, les investisseurs en redemandent. Ils récompensent comme jamais les sociétés qui se lancent dans des méga-acquisitions. Depuis le début de l'année, l'action des sociétés acheteuses a gagné 4% le jour de l'annonce, du jamais-vu. En général, c'est plutôt le contraire.

* Tous les chiffres sont en dollars US