Imaginez si on vous demandait de jouer votre rente de retraite au casino. Impensable? C'est pourtant le genre de pari que les 9400 retraités des Produits forestiers Résolu doivent faire aujourd'hui.

Il s'agit d'une première au Québec. Mais comme de nombreux régimes de retraite sont dans le pétrin, je ne serais pas surprise que d'autres entreprises placent un jour leurs retraités face à un dilemme aussi déchirant.

Chaque retraité de Résolu a le choix de transférer ses actifs à la Régie des rentes du Québec (RRQ) qui lui versera 70% de sa rente puisque le régime est dans le rouge d'environ 30% en ce moment. Par la suite, la rente ne baissera plus, c'est garanti. Et elle pourrait légèrement remonter si les conditions de marchés s'améliorent.

Autrement, les retraités peuvent continuer de recevoir 100% de leur rente, comme cela a toujours été le cas jusqu'ici, malgré la douloureuse restructuration de Résolu en 2009-2010. Toutefois, si l'entreprise fait faillite et que la solvabilité du régime s'est détériorée, les retraités recevront moins que 70% de leur rente.

«Je n'ai pas les compétences financières pour analyser le bilan et les informations financières de la compagnie», déplore Albert* qui aimerait garder sa rente intacte pour profiter un peu de la vie, tandis qu'il est encore dans la soixantaine.

Pour aider les retraités à se faire une tête, la RRQ a tenu une trentaine de séances d'information au Québec. Mais comme personne n'a envie de passer sa rente à la tronçonneuse, seule une poignée de retraités ont décidé de migrer vers la RRQ jusqu'ici.

Mais les retraités auront l'occasion de refaire le même choix chaque année. Sauf que si le ratio de solvabilité de leur régime a baissé, ils auront moins...

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Quitter le navire qui coule ou rester à bord en espérant qu'on parviendra à colmater la brèche? La question reste difficile à trancher.

Pour que le retraité soit perdant de conserver sa rente pleine et entière, il faudrait que l'entreprise fasse faillite et ferme le régime alors que la solvabilité est en dessous de 70%, explique Dany Provost, actuaire fiscaliste chez Planium, à Québec.

Par exemple, si l'entreprise fait faillite dans deux ans, il faudrait que le degré de solvabilité ait baissé au-dessous de 65% pour qu'Albert soit perdant d'être resté dans son régime, selon les calculs de l'actuaire.

Si une faillite survenait dans cinq ans, il faudrait que la solvabilité ait fondu à 55%. Et en cas de faillite dans huit ans, il faudrait que la solvabilité soit inférieure à 40%, ce qui serait plutôt surprenant.

Mais quelles sont les probabilités que Résolu fasse faillite et que le régime se détériore encore plus? Revenons un peu dans le temps...

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La société papetière, anciennement connue sous le nom d'AbitibiBowater, a déjà frôlé la faillite en 2009. Depuis, la situation s'est améliorée, mais elle reste précaire, selon les gestionnaires de portefeuille que j'ai consulté.

L'entreprise vient d'investir 369 millions au Québec, incluant l'acquisition de Fibrek. La rentabilité est en hausse dans plusieurs divisions. L'embellie du secteur immobilier aux États-Unis augure bien pour le bois d'oeuvre. Mais ce secteur ne forme que 10% des ventes de Résolu, qui reste très exposé au papier journal dont le prix est en baisse depuis longtemps.

Les dettes de Résolu ont baissé de moitié, à environ 500 millions (sans compter les 7 milliards effacés lors de la restructuration). Or, la baisse des taux d'intérêt a gonflé le déficit du régime de retraite de 1,3 à 1,9 milliard, depuis 2011.

Résolu se retrouve à la case départ, avec un passif de 2,4 milliards, alors qu'elle vaut seulement 1,4 milliard à la Bourse. Un poids démesuré. Retombera-t-elle en faillite? Le risque est non négligeable.

Si cela se produit, comment les retraités vont-ils s'en tirer? Tout dépend du ratio de solvabilité du régime. Lors de la restructuration, Québec a accordé des allégements spéciaux pour permettre à Résolu de renflouer plus lentement le déficit. Résolu devait verser jusqu'à 65 millions par année pour ramener la solvabilité de 77,5% à 87,5% sur 10 ans.

Mais la situation a empiré et le ratio de solvabilité a fondu à 70%. Pour corriger le tir, il faudrait maintenant que Résolu allonge 107 millions de plus par année.

L'entreprise refuse. Elle fait valoir que le problème se réglera de lui-même si les taux remontent. D'accord, mais cela fait des années qu'on mise là-dessus et c'est l'inverse qui se produit.

Résolu ajoute qu'elle n'a pas la capacité de payer cette cotisation supplémentaire. Pourtant, elle a utilisé 68 millions l'an dernier pour racheter ces propres actions, alors que l'entente avec Québec lui interdisait de verser un dividende à ses actionnaires. N'est-ce pas une façon de contourner l'esprit de l'entente?

Les retraités ne veulent certainement pas que les cotisations à leur régime de retraite poussent Résolu en faillite et provoque une baisse de rente. Ils ne veulent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Mais si l'entreprise ne renfloue pas le régime, leur branche risque de pourrir encore plus.

*Nom fictif