Mercredi soir, quand les gens des médias se sont couchés, la journée du lendemain était réglée. Il y aura une grosse histoire, jeudi matin, le dépôt du budget par le gouvernement Couillard.

Une journée de budget, pas besoin de se casser la tête, tout est prévu d'avance. On a l'habitude. On sait comment faire un gros show avec ça. C'est les Oscars de la finance. Le Super Bowl du journalisme économique.

D'abord, les souliers du ministre des Finances. De quoi auront-ils l'air ? Des souliers vernis laissent présager un budget fier pet. Des Hush Puppies laissent présager un budget pépère. Des Crocs laissent présager qu'il y aura des trous dans le budget. Si le ministre est nu-pieds, ça va pas ben.

Cette fois, Carlos Leitao nous a avertis, la veille. Il va porter pour la présentation du budget ses bonnes vieilles chaussures, qu'il fera reluire avec une brosse neuve. Austérité, quand tu nous tiens.

Pourquoi accorde-t-on tant d'importance aux souliers du ministre quand c'est le peuple qui y laisse sa chemise ?

Après le volet mode, il y a l'aspect suspense. Les journalistes sont enfermés, dans une salle, avec l'épais document. Pas le droit de communiquer avec l'extérieur. Ni de se faire livrer une pizza. Huis clos total. Si une information transpire, c'est tout l'avenir de l'État qui peut en pâtir. Pourtant, la plupart du contenu a déjà été divulgué, plus tôt dans la semaine. Mais c'est pas grave, le jour même, c'est sacré, il faut se la jouer conclave. Ça fait plus big. On peut faire un décompte. Dans quatre heures, on va pouvoir vous révéler les mesures budgétaires. Dans trois heures... Dans deux heures... Dans trente minutes. On n'en peut plus ! On dirait le compte à rebours du Bye Bye. Un peu plus, au moment fatidique, Patrice Roy va embrasser Gérard Fillion sur la bouche.

À 16 h précises, pas une seconde avant, l'embargo tombe, et les journalistes muselés peuvent enfin révéler la teneur du budget. On retient notre souffle. Notre vie en dépend. Allons-nous encore pouvoir manger ? Pourrons-nous encore nous faire soigner ? Devrons-nous vendre nos biens ? Les experts tentent de nous résumer les centaines de pages et d'aléas. C'est jamais très clair, mais on fait semblant de comprendre, pour se sentir dans le coup. Les subsides pour les exportations d'anchois seront réduits de 0,8 %. On grimace. C'est le temps d'investir dans le salami.

Plus le temps entre le dépôt du budget et le déclenchement des élections est court, plus il y a des bonbons. Plus il est long, plus il y a des couleuvres. La couverture du budget se termine toujours de la même façon. L'opposition qui prédit l'apocalypse, et le gouvernement qui prédit le paradis. Pas fiscal. Juste normal. La vérité, c'est que rien ne va vraiment changer. Ça va toujours aller aussi bien, ça va toujours aller aussi mal. Mais les gens des nouvelles sont contents. Ils ont réussi à capter notre attention.

Donc, mercredi soir, tout était prêt. Les médias allaient accueillir la sortie du budget comme la sortie d'un Star Wars. Toute personne sensée ne pouvait manquer ça. Et puis jeudi matin, coup de théâtre ! Quand on ne s'y attendait plus, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) arrête sept personnes, dont l'ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau. Quoi ? ? ? ? ? Une vice-première ministre ! ! ! ! En matière de corruption, on est habitué d'accuser des Monsieur Trottoir ou Madame Nid-de-poule, pas une politicienne de renom.

On tue la une ! Le budget ? Quel budget ? L'affaire dont on devait parler, sans vraiment en parler, jusqu'à 16 h, puis qu'on devait disséquer jusqu'à minuit ? Cassée. Tassée. On mise tout sur l'UPAC.

La corruption, on pensait le sujet épuisé. C'est tellement 2015. La commission Charbonneau avait remis son rapport. Résumé : il s'est passé des choses qui n'auraient pas dû se passer, genre de la magouille, on peut pas vraiment dire entre qui, mais faudrait plus que ça se passe.

On avait gobé cette conclusion. Et on était passé au drame suivant : la blessure de Carey Price. Et voilà que l'UPAC chante Et c'est pas fini. Il y a des coupables. On les a trouvés. Et ce sont de gros bonnets.

Avoir su que son budget passerait dans le beurre, le gouvernement Couillard y aurait sûrement mis des mesures plus sévères. Des taxes plus séraphines. On ne s'en serait pas rendu compte. L'être humain est ainsi fait. Une préoccupation à la fois. Il ne peut pas y avoir deux nouvelles d'importance égale en même temps. Faut toujours que l'une domine l'autre. Le 11-Septembre, des savants auraient découvert le remède contre le sida, on ne l'aurait pas su.

C'est ainsi sur le plan personnel, aussi. Si, dans ta journée, il ne s'est rien passé et que tu as une crevaison. Ta crevaison, c'est la fin du monde. Mais si tu t'es fait congédier le même jour, ta crevaison, tu roules dessus.

Ce qui est bien, avec notre façon d'être, c'est qu'on sait que, tôt ou tard, peu importe la gravité de ce qui nous arrive, cet événement sera éclipsé par un autre.

Nathalie Normandeau n'a donc qu'à espérer que le Canadien échange P.K. Subban ou que la LNH donne une équipe à Québec. Une nouvelle en chasse une autre. Parce que, la plupart du temps, ce n'est jamais aussi incontournable qu'on veut nous le faire croire.

Quand on y pense, la vraie nouvelle la plus importante, en ce moment, celle qui aura le plus d'impact sur nos vies, ce n'est ni le budget ni l'UPAC, c'est le printemps.

Joyeux printemps !