C'est l'Halloween. Il faut aller à l'école déguisé. Encore. Je n'aime pas cette journée. Chaque année, dans mon cas, c'est une catastrophe. Il y en a qui maîtrisent l'art du déguisement. Pas moi. Mon imaginaire se déploie à travers les mots. Pas à travers le linge. Vraiment pas.

En 1re année, je m'étais habillé comme d'habitude, mais j'avais mis mon chapeau de cow-boy. Pour moi, c'était évident, j'étais déguisé en cow-boy. En cow-boy minimaliste. Le problème, c'est qu'à la pause de 10h15, en allant aux toilettes, j'ai échappé mon chapeau dans la cuvette. Pas question de le remettre sur ma tête. J'ai donc passé la journée en cow-boy avec pas de chapeau, et avec du linge ordinaire. Ce n'est pas moi qui ai gagné le premier prix.

En 2e année, j'étais sûr de mon coup. À mon anniversaire, j'avais reçu une cape de Batman. Un de mes plus beaux cadeaux à vie. Dès que je revenais de l'école, je la portais et me sentais invincible. Enfin, à l'Halloween, j'allais pouvoir la revêtir du lever jusqu'au coucher. Batman, all the way! Le hic, c'est que ma mère s'en est mêlée:

«Ta cape, pour jouer dans la maison, c'est correct. Mais si tu veux la mettre pour aller à l'école, va falloir la couper un peu, sinon y'a des enfants qui risquent de marcher dessus et ça va te faire tomber. Je vais te faire une cape sécuritaire.»

Ma mère n'a jamais été très bonne en couture. Elle l'a coupée un peu. Un peu trop. Ça ne ressemblait plus à une cape. On aurait dit une bavette que j'aurais mise à l'envers. Jamais Batman ne s'est senti aussi diminué. J'avais beau courir de toutes mes forces, la cape ne levait pas. Tout le monde me demandait ce que j'avais dans le dos. Je répondais: «une cape sécuritaire». Je n'ai gagné aucun prix.

En 3e année, j'avais dit à ma mère que je voulais me déguiser en Gilligan dans Les joyeux naufragés. Pas de problème, elle allait m'acheter tout ce qu'il fallait chez Eaton. Le matin de l'Halloween, le costume de Gilligan était placé au pied de mon lit, je n'avais qu'à l'enfiler. Je le regarde et je ne comprends pas:

«Maman, le chandail de Gilligan est rouge, pas rose. Pourquoi m'as-tu pris un chandail rose?

- Il ne restait plus de chandail rouge chez Eaton. Rouge, rose, ça se ressemble.

- Oui, mais le chapeau de Gilligan, c'est un bonnet blanc, pas un béret blanc. Pourquoi tu m'as pris un béret?

- Je pensais que c'était un béret...

- Et le jeans de Gilligan est bleu pâle, pas bleu foncé...

- Il ne restait plus de bleu pâle à ta taille.

- Oui, mais là, ce n'est plus le costume de Gilligan.

- T'as juste à te mettre une corde à bateau sur ton épaule, et tout le monde va te prendre pour Jinny.

- C'est pas Jinny, maman, c'est Gilligan!

- C'est ça que je voulais dire...»

Je suis allé à l'école avec mon chandail rose, mon béret blanc, mes jeans foncés et ma corde sur l'épaule. Tous les enfants de l'école Notre-Dame-de-Grâce m'ont demandé, les uns après les autres, en quoi j'étais déguisé. Misère. La honte pour quelqu'un qui est déguisé, c'est de se faire demander: «En quoi es-tu déguisé?» C'est la preuve que tu as raté ton coup. Quand je répondais en Gilligan, les gens me regardaient encore plus bizarrement:

« Gilligan qui?

- Ben, Gilligan des Joyeux naufragés.

- T'as plus l'air de Ginger! Hahaha!»

Maudit rire moqueur. Non seulement je n'ai pas gagné de prix, mais je n'ai même pas été considéré comme participant au concours.

En 4e année, j'ai mis mon chandail du Canadien. Le numéro 4. Avec le nom Béliveau dans le dos. Ça ne pouvait être plus clair, j'étais déguisé en Jean Béliveau. Tout le monde allait comprendre. Eh bien non. Comme je portais déjà ce chandail au moins une fois par semaine pour aller à l'école, les élèves ont passé la journée à me demander pourquoi je n'étais pas déguisé. J'avais beau dire qu'à l'Halloween, je mettais mon chandail du CH en tant que déguisement, et que les autres jours, je le mettais en tant que partisan, ça ne convainquait personne. Pas de prix pour Jean Béliveau.

Et me voilà en 5e année. Avec mon titre de champion des costumes pourris. Qu'est-ce que je pourrais bien faire pour perdre cette réputation? Tout est une question de motivation. Il y a des enfants dans la classe qui rêvent à cette journée durant des mois. Tous les ans, le petit Paul se déguise en Schtroumpf. Il se réveille à 3h du matin pour que sa mère ait le temps de le maquiller en bleu. Tout son corps est bleu, même les bouts que l'on ne voit pas. On le sait, une année, le grand Benoît a vérifié. Paul a la réplique exacte du bonnet blanc des Schtroumpfs sur la tête. Pas un béret, un bonnet. Et les pantalons blancs, et les godasses blanches. En plus, c'est le plus petit de la classe. Il a déjà l'air d'un Schtroumpf au naturel. Alors, imaginez avec le costume parfait. Tous les ans, Paul gagne le premier prix. Et il est content. Et il le mérite tellement.

Moi, faut que je l'avoue, me déguiser, ça m'ennuie. Ce n'est pas que je suis plate. C'est juste que je n'y prends pas de plaisir. Et ça paraît. Cette année, je vais m'assumer. Je vais aller à l'école pas déguisé. J'espère qu'ils vont comprendre. La folie n'a de sens que lorsqu'elle n'est pas forcée. À l'Halloween, que ceux qui aiment se déguiser se déguisent. Et que ceux qui n'aiment pas ça ne le fassent pas. Sans se faire embêter. Le droit à la différence, c'est aussi pour ceux qui ne portent pas de masques.

Sans y penser, j'avais mis mon chandail jaune avec une ligne noire, mes bas jaunes et mes bottines brunes. Tout le monde a cru que j'étais déguisé en Charlie Brown. J'ai gagné le 3e prix!

Joyeuse Halloween à tous!