Il y a une quarantaine d'années, le grand prophète Yvon Deschamps résumait ainsi le rêve québécois: «Avoir une job steady et un bon boss.» À la lumière du sondage commandé par La Presse+, la formule a changé. Maintenant, c'est: «Avoir une santé stable et un bon médecin.»

Avant, les politiciens promettaient 100 000 emplois, maintenant, ils promettent 100 000 places dans les hôpitaux.

Avant, on disait: le travail, c'est la santé. Maintenant: la santé, c'est du travail.

Le Québécois est tellement obsédé par sa santé qu'il rêve. Faut le faire!

Que les Québécois malades rêvent d'être en santé, rien de plus normal. Quand on est souffrant, il n'y a que ça qui compte. Tout le reste est futile. Mais que les Québécois en santé rêvent d'être en santé, ça devient presque une maladie.

Déjà que la santé est notre préoccupation quotidienne. On ne parle que de ça. On ne pense qu'à ça. On élit un premier ministre médecin pour veiller sur nous. Son ministre le plus médiatisé est un médecin, aussi. Dans les journaux, un papier sur deux traite des hôpitaux. Voilà que lorsqu'on se met à rêver, on rêve encore à la santé. Est-ce le signe d'une société vieillissante de n'avoir que ce mot à la bouche?

Vous me direz que les Québécois ne parlent pas seulement de leur santé, ils parlent aussi de hockey. C'est vrai. Mais même quand ils parlent de hockey, ils en reviennent toujours à leur sujet préféré. Ce printemps, ils rêvent à la Coupe Stanley, en précisant: «Les Canadiens peuvent gagner la Coupe, si Carey Price est en santé.»

Encore la santé! Toujours la santé!

Comparons le rêve québécois à l'American dream. Selon Wikipédia, le rêve américain est l'idée selon laquelle n'importe quelle personne vivant aux États-Unis peut, par son travail, son courage et sa détermination, devenir prospère. Devenir riche. Défini ainsi, le rêve québécois est donc l'idée selon laquelle n'importe quelle personne vivant au Québec peut, par son médecin, sa carte d'assurance maladie et sa diète, devenir en santé.

Ce sont deux projets différents. L'American dream est sexy, ambitieux, vertigineux. Il inspire le pauvre du ghetto à se prendre en mains, à se lancer en affaire et devenir le nouveau Heinz, le nouveau Apple. Le rêve québécois est plus pépère. Il inspire le moins fortuné des quartiers à se rendre aux urgences quand il ne file pas, car il va finir par se faire soigner. Ça va peut-être prendre trois jours, mais on va s'occuper de lui. Et il y a de bonnes chances qu'il ressorte de l'hôpital sur ses deux pieds et en santé.

Aussi différents qu'ils puissent paraître, ces deux rêves sont intimement liés.

L'Américain rêve à la richesse. C'est elle qui peut tout lui apporter. La gloire, le sexe et la santé, aussi. Mais sans elle, tu peux sécher.

Obamacare ou pas, ce sont les riches qui sont le plus en santé aux États-Unis. Ils sont capables d'acheter leur santé. Les pauvres, eux, n'attendent pas dans les couloirs qu'un médecin les voie, ils attendent chez eux que ça passe, d'une façon ou d'une autre.

Un ami médecin, qui fait son fellow en Californie, est bouleversé de constater que là-bas, on n'offre pas le meilleur traitement possible au patient pour qu'il puisse guérir, on offre le meilleur traitement possible que le patient est capable de se payer. Si tu n'as pas le fric pour te payer le bon remède, reste malade avec ta petite pommade. On ajoute un c devant le mot rêve. Et ça fait crève. On crève en rêvant d'être riche. Pour pouvoir être en santé.

Nous, au Québec, on vire ça à l'envers. Vaut mieux être pauvre et en santé que pauvre et malade. Et savez-vous quoi? Je crois qu'on a raison. On fait peut-être bien raisonnable et sage avec notre rêve d'être en santé, mais on a les valeurs à la bonne place. Notre système de santé est faillible et chancelant, mais au moins, il repose sur un principe noble, que tout le monde soit traité également, que la personne soit riche ou pas. Bien sûr, il y a des entorses à ce postulat, mais rien de comparable aux injustices que provoque le système de santé du rêve américain.

On n'est peut-être pas riches comme les Américains riches, mais on est plus en santé que les Américains pauvres. Et quand t'es en santé, tu peux rêver...

Ce qu'il y a de frustrant, quand on rêve à la santé, c'est que tôt ou tard, notre rêve va s'évaporer. On meurt tous et personne ne meurt en santé. Que le coup fatal soit donné par une longue maladie ou par une souffleuse qui vous passe dessus, c'est toujours parce que votre corps n'est plus en santé que vous quittez ce bas monde. Cela dit, tous les rêves se fracassent contre la mort. La richesse et la gloire aussi.

Rêver à la santé en premier, c'est bien, mais il ne faut pas rêver juste à ça. Faut rêver beaucoup. Faut rêver tout plein. À l'amour, à l'amitié, à la paix, à la liberté, à l'égalité. Parce que rêver, c'est le contraire de se résigner. Il ne faut jamais accepter un monde sans l'amour, sans l'amitié, sans la paix, sans la liberté, sans l'égalité.

Et ne jamais oublier que ce qui est aussi important que de rêver, c'est de tout faire pour réaliser ses rêves.

À votre santé!