Sept heures du matin, ma blonde et moi partons travailler. Bécaud, comme d'habitude, est dans nos jambes. Il n'arrête pas de miauler. Ça fait 20 minutes qu'il miaule pour aller dehors. Monsieur le chat veut sortir avant nous! Monsieur le chat est pressé! Monsieur le chat n'attend pas! Marie-Pier lui ouvre la porte. Bécaud avance de deux pattes. Puis il reste figé dans le portique. Il fait -20 dehors. Avec le facteur vent, -30. Avec le facteur humidex, -40. Avec le facteur pression atmosphérique, -50. Avec le facteur on-est-tannés-de-l'hiver, -1000.

Marie-Pier s'impatiente: «Bécaud, tu sors ou tu sors pas?» Bécaud ne bouge pas. Il est sur pause. Ma blonde referme la porte et enfile ses bottes. Bécaud se remet à miauler. Il se frotte sur la porte. Il est décidé. Il veut sortir. Ma blonde la lui ouvre à nouveau. Il fige à nouveau.

Dans sa tête de chat, il ne comprend pas ce qui se passe. Quand on lui a ouvert la porte, la première fois, il n'a pas aimé la température. Il pensait qu'avant de lui ouvrir la porte une seconde fois, on aurait changé la température. Quand il n'aime pas ce qu'il y a dans son bol, on prend son bol et on lui change ce qu'il y a dedans. Quand il n'aime pas ce qu'il y a dehors, pourquoi on ne prend pas dehors et on ne change pas ce qu'il y a dedans, le dehors? Montez la température, enlevez la neige, faites de quoi! Ben non! C'est encore aussi frette! Même plus frette. Bécaud est contrarié. Et quand il est contrarié, il fige.

Ma blonde l'interpelle: «Veux-tu sortir ou tu veux pas sortir?» Il miaule quelque chose en guise de réponse. Difficile à traduire. Je me risque: «C'est quoi, ce froid-là? C'est pas un temps à mettre un chat dehors! Mais je veux sortir!»

Marie-Pier referme la porte. Elle met son manteau. Je mets le mien. On est prêts. On tourne la poignée et on y va. On fige nous aussi. Phoque qu'on gèle! Notre corps a le réflexe de reculer, comme celui de notre félin. Sauf qu'on ne peut pas. On a du boulot à faire. On se raidit et on fonce. C'est bizarre, cette habitude quand il fait très froid, de raidir nos membres. C'est pas le froid qui nous plisse la face, on se la plisse avant même qu'il nous la plisse. C'est comme si notre corps essayait de se fermer pour ne pas que le froid le pénètre. On se ratatine. Notre peau essaie de rentrer en nous. Elle est jalouse de nos reins, de notre foie, qui baignent au chaud en dedans.

Y faut ce qu'il faut. Nous voilà sur le balcon. Ma blonde vient pour refermer la porte, Bécaud s'étire le cou. Il a deux pattes dehors, deux pattes en dedans. Il a eu envie de nous suivre. Normal. Après tout, c'est nous les leaders de la meute. Je ne devrais pas dire nous, je devrais dire elle. Pour Bécaud, le chef du clan, c'est Marie-Pier, c'est clair. C'est elle qui lui donne sa bouffe, c'est la reine chasseresse. Il la suit partout. Moi, pour Bécaud, je ne sers à rien. À part le flatter, quand la reine dort.

Donc si Marie-Pier est dehors, ça doit donc être une bonne idée d'être dehors. C'est à ça que ça sert un leader, montrer le chemin. Sauf que ce matin, Bécaud commence à douter de sa leader. Bienvenue dans le club, mon chat! On ne fait que ça, nous les humains, douter de nos leaders.

Bécaud est toujours dans le cadre de porte. Les moustaches au froid, mais la queue au chaud. Si Marie-Pier referme la porte, elle lui écrase le cou: «OK, Bécaud, fais quelque chose! On est en retard!»

Bécaud la regarde. Les yeux ahuris. Il ne comprend pas pourquoi sa maîtresse lui fait vivre ça. Pourquoi, il fait froid comme ça. Il n'est pas un ours polaire. Il est un chat de gouttière. Il n'est pas censé vivre des hivers comme ça. Où sommes-nous? A-t-on déménagé de latitude? -5, -10, OK. -1000, non! Il vire les pattes et entre dans la maison. C'est décidé. Il reste en dedans. Si nous, on est assez fous pour aller se les geler par ce temps-là, c'est notre problème. Pas le sien. Vivement un coussin pour un petit roupillon. On le regarde gambader vers le salon, jaloux. Si on pouvait faire comme lui.

On monte dans l'auto gelée. Il ne sort pas de mots de notre bouche. Que de la fumée. On ne pense qu'à une chose: aux matins d'été. L'été, à peine le temps d'entrouvrir la porte, et Bécaud est déjà rendu dans le parc. On sort et on est bien. Plus que bien, on est même heureux, juste à cause du temps qu'il fait.

L'hiver ne nous rend pas malheureux. Il nous rend misérables. On fait pitié. Avec nos faces crispées. Nos gros manteaux pas de coupe. Notre démarche accélérée. Nos grelottements incontrôlés.

19 h, on revient de la job, Marie-Pier et moi. On ouvre la porte. Bécaud accourt. Il regarde dehors. Il fait froid et noir. Il retourne sur son coussin. Le fainéant! Heureusement qu'on est là pour faire avancer la société. Même quand elle veut rester en dedans.

L'humain est moins douillet que le minou. N'empêche qu'au bout de la journée, lequel des deux a le plus ronronné?