Normandie, il y a 70 ans...Des milliers de soldats, entassés dans des péniches de guerre, approchent la côte. La mer est agitée mais pas autant que les hommes. Les rampes mobiles s'abaissent, les sections se mettent en mouvement.

C'est le débarquement de Normandie.

Devant eux, les tirs des Allemands qui les accueillent dans un bain de sang. Derrière eux, les tirs des navires alliés qui visent les forteresses ennemies. Au-dessus d'eux, les bombes des avions qui font sauter les bunkers. C'est l'enfer. Il y a des engins de mort partout. Et eux doivent tenter de traverser la plage, vivants.

Sept décennies plus tard, je me demande toujours comment ils ont fait. Je sais, ils n'avaient pas le choix. Les soldats vont là où leurs généraux leur disent d'aller. Et leur mission était de libérer la France. C'est une noble tâche. Mais est-ce une raison pour devenir de la chair à canon? Il fallait des sacrifiés. Et c'étaient eux. Ils avaient beau ne pas avoir le choix, encore fallait-il avoir l'élan.

Comment courir vers la mort? Comment ont-ils fait pour que leurs nerfs tiennent le coup? Comment ont-ils fait pour ne pas se rouler en petite boule au fond de l'embarcation et rester collés là, pétrifiés par la peur et l'horreur? Comment ont-ils fait pour demeurer des hommes d'action? Et tenter d'accomplir ce que des dirigeants, bien à l'abri, avaient planifié?

Ça s'appelle le sens du devoir. Ils ont fait ce qu'ils devaient faire.

L'instinct de survie devrait pourtant vous pousser à courir dans l'autre sens. Loin de la rive, loin de l'Apocalypse. Ce n'est pas l'instinct qui les faisait avancer vers Omaha Beach ou Juno Beach, c'est l'obligation de servir. C'est l'uniforme.

Des civils n'auraient jamais réussi le débarquement en Normandie. On ne serait jamais montés sur le bateau. No way! On aurait continué à faire les boutiques anglaises. Vous nous le direz quand ce sera beau de l'autre bord. Quand tout sera sécuritaire. Quand il n'y aura aucun risque.

Le civil pense à sa peau. Le soldat pense à exécuter les ordres. Sa peau passe en deuxième. Le soldat est un civil qui a renoncé à quelque chose en lui pour faire partie d'un groupe. Ce n'est pas sans conséquence. Parfois c'est pour le pire. Des massacres sans raison, des tortures sanguinaires, des crimes dégoûtants. Des lendemains troubles. Parfois, c'est pour le meilleur. Comme le 6 juin 1944. Permettre au monde libre de rester en vie au prix de la sienne. Il n'y a pas de plus grand sacrifice.

En temps de paix, les militaires sont mal-aimés. Ils font peur ou on en rit. On les fuit. Je suis le premier à ne jamais être du bord des soldats, à toujours être du bord des déserteurs, des révolutionnaires, des pacifistes. Mais il faut se rendre à l'évidence, quand un conflit éclate, notre liberté est entre leurs mains.

Si tout le monde avait déserté le 6 juin 1944, le fou aurait gagné. Et pour ça, il faut leur dire merci. Il faut leur témoigner notre respect.

Moncton, il y a trois jours...



Un type habillé en militaire, armé jusqu'aux dents, est sorti de chez lui, le regard étrange. Une voisine a appelé la police. Les agents de la GRC se sont mis à le chercher. Ils l'ont trouvé. L'enragé a tué trois policiers, en a blessé deux autres et s'est enfui. Tous les habitants de la ville se sont enfermés dans leur maison, en attendant que le forcené soit enfin capturé.

Si vous dites à quelqu'un de sain d'esprit qu'à gauche, il y a un maniaque qui se promène avec des mitraillettes, c'est sûr qu'il va choisir de s'en aller à droite. Sauf s'il fait partie de la police. Le job des forces de l'ordre est d'affronter ceux qui menacent la sécurité des gens. Les agents de la GRC n'ont pas pensé à leur vie à eux en se mettant aux trousses du Rambo disjoncté, ils ont pensé à la vie des gens de la collectivité. Ils ont répondu à l'appel, comme ils répondent à des milliers d'appels, c'est leur devoir. Le danger est par là, OK, on y va. Pour le bien de tous. Trois hommes sont morts en faisant leur devoir.

Dans notre quotidien, les policiers sont aussi mal-aimés. Aucun métier n'a autant de noms d'animaux pour les désigner. Chiens, cochons, poulets... Je suis le premier à ne jamais être du bord des policiers. À toujours être du bord des manifestants, des rebelles, des hippies.

Mais il faut se rendre à l'évidence, quand un illuminé terrorise la population, il n'y a pas de Superman ou d'Homme-Araignée pour venir le désarmer, il n'y a que des policiers. Ce sont eux, les héros aux pouvoirs ordinaires.

Si, ce week-end, la population de Moncton peut dormir en paix, c'est grâce à eux. Il faut leur dire merci. Il faut leur témoigner notre respect.

Tant que le monde sera à la merci de fous sortant de chez eux pour menacer leur quartier ou pour envahir la planète, ça prendra des hommes dont la fonction est de se dresser devant eux: des militaires et des policiers.

Peut-être faudrait-il cesser de mépriser ces hommes et ces femmes en service et mépriser plutôt ceux qui les déshonorent.

Mes condoléances à tous les proches des victimes.