Demandez à un couple de vous raconter leur première rencontre. Le gars dit: «Je me souviens très bien, c'était dans le cours d'anglais. Tout d'un coup, j'ai vu entrer dans la classe une belle blonde en robe rouge...» La fille l'interrompt: «C'est pas ça pantoute, c'était dans le cours de chimie, je portais un sarrau blanc, et dans ce temps-là, j'étais brune.»

Peu importe l'importance de l'événement, deux personnes qui l'ont vécu en même temps en garderont des souvenirs différents. Faites l'expérience avec votre partenaire. Prenez une activité bien anodine comme votre visite au Costco de samedi dernier. C'est immanquable, votre description des faits va diverger de celle de votre douce moitié. Pour vous, il était 10h. Pour elle, c'était l'après-midi. Vous vous rappelez avoir croisé Jean-Martin Aussant, elle est certaine que c'était Jean Charest.

Autant de témoins d'un moment précis, autant de versions de ce moment de plus en plus imprécis.

Voilà pourquoi la recherche de la vérité est une entreprise hasardeuse. La commission Charbonneau nous en a donné, encore une fois, la preuve cette semaine.

Son témoin-vedette Martin Dumont n'a pas besoin de personne pour le contredire. Il le fait très bien lui-même.

Il a d'abord déclaré que deux stagiaires d'Union Montréal se sont plaints d'avoir eu à compter d'importantes sommes d'argent dans le bureau du responsable du financement du parti. En passant, une de ces stagiaires est sa femme. Elle a dû s'empresser de lui rafraîchir la mémoire, car un mois plus tard, Dumont a déclaré que ce n'était pas deux stagiaires qui s'étaient plaintes, mais la réceptionniste du parti. Elle lui a dit avoir compté 850 000$. Six semaines plus tard, il nie tout, ce ne sont ni des stagiaires ni la réceptionniste qui se sont plaints, c'est le responsable du financement du parti lui-même qui lui a avoué compter du cash. Lundi dernier, il a dit ne plus être certain de l'identité de la personne qui lui a parlé du comptage d'argent. Et a fini par lâcher que peut-être jamais personne ne lui en a parlé, et que les 850 000$ n'ont jamais existé.

La mémoire n'est pas une faculté qui oublie, la mémoire est une faculté qui invente.

Voilà pourquoi la diffusion publique des témoignages est une arme à deux tranchants. Les gens ont le droit de savoir la vérité. Sauf que la vérité, qu'ils croient apprendre, peut aussi être une fausseté. Il devrait y avoir un avertissement avant le début des émissions: toutes ces histoires ne sont pas nécessairement vraies.

Quelqu'un peut mentir par intérêt, il peut aussi mentir parce qu'il est juste mêlé. L'humain n'a pas un gros disque dur. Son stockage de mémoire est approximatif. On en oublie beaucoup plus qu'on en retient.

Dans une de ses révélations, Dumont n'a d'abord pas parlé de la présence du maire Tremblay à une réunion, puis il a dit que le bon Gérald était là, pour finalement ne plus en être certain. C'est grave, mais ça se comprend. L'ex-maire Tremblay a une présence discrète. Si le maire Labeaume avait assisté à cette réunion, c'est certain que Martin Dumont s'en souviendrait. Nous ne retenons que ce qui nous marque. Et très peu de choses nous marquent vraiment.

Où étiez-vous le 3 décembre 2012? Le 4 février 2011? Le 8 juin 2009? Vous n'en avez aucune idée. Mais vous savez tous où vous étiez et ce que vous faisiez le 11 septembre 2001. Le problème, c'est que des immeubles ne peuvent pas s'effondrer tous les jours pour que l'on se souvienne de ce que nous faisons.

Voilà pourquoi tout exercice basé sur le récit d'événements passés relatés par des êtres humains doit être pris avec un grain de sel. Nous sommes tous des Capitaine Bonhomme. Nous arrangeons les faits pour nous rendre intéressants. Gravir le mont Royal devient l'ascension de l'Everest. Un rendez-vous avec sa voisine devient un rendez-vous avec Angelina Jolie. L'achat d'une Lada devient l'achat d'une Ferrari.

La parole de l'homme n'est pas une preuve. C'est un morceau du grand puzzle de la vérité, mais c'est un morceau qui peut nous induire en erreur. C'est peut-être un morceau égaré d'une autre boîte de casse-tête.

J'espère que la nouvelle affaire Dumont sera une leçon pour toute la société. Ce n'est pas parce qu'on le dit que c'est vrai. Même si ce qui est dit confirme nos soupçons et fait notre affaire, il faut se retenir de sauter aux conclusions.

Combien de gens, cette semaine, sont arrivés en retard au bureau en prétextant que leur char ne partait pas? Sans dire que si le char ne partait pas, ce n'est pas à cause du froid, mais parce qu'ils étaient en train de dormir.

À l'heure de l'internet et de la prolifération d'informations vraies et fausses, il faut se rendre à l'évidence qu'il peut y avoir de la fumée sans feu.

Nous en sommes d'ailleurs tous la preuve vivante. Aussitôt que nous mettons le pied dehors, en ce mois de janvier, la fumée sort de notre bouche, même si nous ne sommes pas en train de brûler.

Bien des choses sortent de notre bouche sans être vérités.

Les conclusions d'une commission sont à la fin, pas au début, pas à moitié.