Jacques Cartier n'a pas découvert le Canada. Jacques Cartier a envahi le Canada. Il y avait déjà du monde là. Depuis 10 000 ans, au moins. Il les a appelés les Indiens parce qu'il se croyait en Inde. Ce n'était pas des Indiens. C'était des Iroquois, des Algonquins, des Hurons, des Micmacs... Pas grave, on a continué à les appeler les Indiens quand même. Pendant plus de 400 ans, ils ont porté le nom de notre erreur.

Durant toute mon enfance, le seul Indien qui faisait partie de mon quotidien, c'était la grosse tête coiffée de plumes qu'on voyait à l'écran de la télé, quand Radio-Canada n'était pas en ondes. Pour moi, les Indiens appartenaient au passé, au folklore. Leur époque, c'était celle des westerns. Ils avaient disparu en même temps que les saloons et les diligences. Maintenant, ils servent de symboles, comme les oiseaux, pour orner les chandails d'équipes de hockey ou de baseball.

Puis, un soir, j'en ai vu un bien vivant, qui existait en même temps que moi. C'était Max Gros-Louis, que Lise Payette recevait à Appelez-moi Lise. Un gentil géant que tous les artistes français de France s'empressaient de visiter pour faire de belles photos dans Paris-Match.

Dans ma petite tête de jeune Blanc, le village du chef Gros-Louis, c'était comme le Village de Séraphin, un endroit où l'on reproduisait l'ancien temps pour distraire les touristes. Des descendants d'Indiens y jouaient aux Indiens.

Un jour, j'ai compris. J'ai compris que, si je croisais si peu d'Amérindiens, ce n'était pas parce qu'ils n'existaient plus ou qu'il en restait juste un, c'est parce qu'ils vivaient en retrait. Il y en avait des milliers et des milliers dans des réserves. Au début, ça m'a choqué. Pourquoi on les confine là? Je les croyais en pénitence. On m'a expliqué. Ce sont eux qui voulaient continuer à vivre selon leurs traditions, en se gouvernant eux-mêmes. C'était pour leur bien. Ah bon...

Nous avons donc continué à vivre ici sans nous apercevoir qu'ils y vivaient aussi. On en voyait parfois danser à l'ouverture des Jeux olympiques ou lors de la visite des Braves d'Atlanta. Des présences anecdotiques. Jusqu'à la crise d'Oka. Là, on a compris qu'ils étaient nos contemporains. Ils ne se promenaient plus avec des arcs et des flèches, mais avec des mitraillettes, comme nous. La crise d'Oka est un drame, mais, au moins, elle a mis fin à l'indifférence, à l'ignorance. On était les uns en face des autres. De la pire des façons. Mais on ne pouvait plus faire semblant.

Les autochtones ne sont pas juste dans Tintin. Ils font partie de notre pays.

Ou est-ce nous qui faisons partie du leur? La mésentente est là. Deux visions opposées de l'Histoire.

Pour les autochtones, ce sont eux qui nous ont concédé le droit d'être là. Pour nous, c'est nous qui leur avons généreusement octroyé le privilège d'être encore là. On est prêts à les inclure dans notre vision, sauf qu'eux veulent garder la leur. Qui inclut qui? Nous sommes les plus forts, mais ils sont résistants. On a essayé de les convertir sans savoir qu'ils avaient encore plus la foi que nous. Qui est le martyr de qui? Quand deux parties n'ont rien en commun, toutes les ententes deviennent des compromis pour gérer leur incapacité d'être ensemble.

Non seulement on les a appelés par le mauvais nom, mais on n'a jamais voulu savoir qui ils étaient, au fond. On les a tassés. On les a remisés. Comme de vieilles affaires dont on ne peut pas se débarrasser, mais dont on ne veut pas se servir non plus.

Il y a un problème autochtone au Canada. Et il est grave. Comme tous les problèmes qu'on laisse pourrir durant des siècles, il peut devenir extrêmement dangereux.

Il y a plus d'un million d'autochtones au pays, dont plusieurs malheureux. Le malheur, on a beau le cacher dans une réserve, tôt ou tard, il va nous sauter dessus.

Je n'ai aucune idée de la façon de régler la question autochtone. Je n'ai pas les compétences pour ça. Tout ce que je peux faire, c'est presser nos gouvernements d'agir. Vraiment. Pas de faire semblant.

Aussi vrai qu'il importe de vivre en harmonie avec les nouveaux arrivants, il importe de vivre en harmonie avec ceux aux yeux de qui nous en sommes.

Idle No More, ça veut dire: fini la passivité. C'est bon pour tout le monde.