Il est tard dans la nuit, c'est mon beau-frère Jean-François qui conduit. On revient de Tadoussac. On écoute du Supertramp. On ne parle pas. On s'est tout dit ce qu'on avait à se dire sur le Canadien, nos blondes et le réchauffement de la planète. On a juste hâte d'arriver. Ça fait plus de cinq heures qu'on respire l'air du char. Ça gaze.

Lonely days turn to lonely nights,

You take a trip to the city lights

And take the long way home,

Take the long way home...

Soudain un éclair, un flash, une illumination. Comme saint Paul sur la route de Damas. Comme Richard Dreyfuss rencontrant le troisième type sur un chemin de l'Indiana. Que s'est-il passé? Je regarde le ciel. Pas de météores, d'aurores boréales ou de Raël en Tercel volante. Je regarde mon beau-frère. Toujours le même faciès. Il ne s'est pas transformé en vampire ou en Hulk. Je l'interroge:

«As-tu senti ce que j'ai senti?

- Je sens rien. C'est sûr que ça fait longtemps qu'on est dans le char...

- Ben non, je ne parle pas de sentir comme ça, je parle de la sensation lumineuse.

- Ouais, c'était quoi, ça?

- Je ne sais pas.»

Au moins, je n'ai pas halluciné. Nous sommes deux à avoir vu la lumière. J'ai envie d'appeler Chantal Lacroix. Peut-être est-elle au courant de phénomènes étranges se produisant sur l'autoroute 20 Ouest, à la hauteur de Boucherville, juste avant la bretelle du boulevard de Mortagne?

«À quoi ça t'a fait penser?

- C'était comme un stroboscope du Lovers, mais juste un coup... Ou quand on prend des photos dans un photomaton.»

C'est en l'entendant dire ça que j'ai flashé dans ma tête. Il était temps.

Photo... Radar photo.

«On vient d'attraper un ticket.

- Elle est où, la police?

- Elle est pas là, la police. L'éclair de tantôt, ça devait être un radar photo. À combien tu allais?

- Pas si vite que ça.

- Allais-tu à la limite permise?

- Pas si lentement que ça.»

Dans l'ancien temps, recevoir un constat d'infraction pour un excès de vitesse était une expérience traumatisante. D'abord on entendait la sirène de la police et notre coeur s'arrêtait. Est-ce moi? Dieu, faites que ce ne soit pas moi. Faites que ce soit l'autre auto à côté. Malheureusement, Dieu est toujours dans l'autre auto à côté. La grosse cerise rouge s'approchait dans notre rétroviseur. On se tassait sur le bord de la route. Piteux. Honteux. En sueur. On baissait sa vitre. L'agent disait: «Vos papiers!» On se sentait comme le pire des bandits. On se laissait dominer pendant quelques minutes. Puis, on remontait sa vitre, et quand on était certain qu'elle était bien remontée, on se mettait à sacrer. On redémarrait son véhicule. Et on roulait penaud, la queue entre les quatre roues. L'humiliation ralentit son homme.

Avec le radar photo, il n'y a pas d'humiliation. Il y a juste un flash de photo. Et normalement, quand il y a un flash de photo, on sourit. On dit cheese! C'est une expérience heureuse. Notre cerveau a donc de la difficulté à réaliser qu'on vient de se faire attraper. Que ça va nous coûter cher. D'abord dans notre tête, il y a toujours l'espoir que le flash, c'était pour l'autre auto à côté. Et cet espoir n'est pas dissipé quelques secondes plus tard. Il ne s'évanouit qu'à la réception de la contravention plusieurs semaines plus tard.

L'homme a besoin de voir pour croire ce qui lui arrive. Quand c'était une belle grosse police, en chair et en moustache, qui nous tendait le ticket, c'était tangible. C'était concret. C'était physique. Maintenant on se fait arrêter par une lueur. En tout respect pour les policiers, on n'a pas l'habitude de se faire arrêter par une lumière. Surtout qu'elle ne nous arrête même pas. On peut continuer notre chemin, sans ralentir. Le mal est fait. Et c'est ça qui est le plus déstabilisant, c'est que ça ne nous a pas fait mal.

En aucun temps, la culpabilité ne nous envahit. Sans le regard réprobateur du policier, le conducteur ne peut mesurer la gravité de son comportement. Il poursuit son chemin, le pied pesant.

Tout ce qu'il retient de son expérience paranormale, c'est qu'il ne faut pas aller vite à cet endroit. C'est tout. C'est court. La route est si longue.

On est presque arrivés. Je demande au beau-frère s'il n'est pas trop déçu de ce qui vient d'arriver.

«La photo, c'est pas une photo de ma face?

- Non, c'est une photo du char.

- Comme c'est ton char, ça veut dire que c'est ton ticket.»

Je ne pensais jamais, un jour, m'ennuyer autant des polices.