Lundi midi, j'accompagne André-Philippe Gagnon à une répétition pour le numéro d'ouverture du gala Juste pour rire animé par Éric Salvail. C'est à la Place des Arts, au cinquième étage, salle 1.

Nous entrons dans le local, une immense pièce vide dans laquelle il n'y a qu'une petite malle au beau milieu et des artistes autour qui s'échangent des répliques, le texte à la main. Nous sommes en avance. Nous nous asseyons discrètement près de la porte.

Daniel Lemire tire le coffre, Éric Salvail s'élance: «Mais c'est oncle Georges!» Lemire confirme: «Allô toi!» Le metteur en scène, Yvon Bilodeau, intervient: «Daniel, il faudrait que tu apportes la malle jusqu'ici et qu'Éric et toi, vous vous placiez comme ça, pour faire face au public.» Les deux comédiens recommencent la scène.

Salvail veut voir ce qu'il y a dans la malle, oncle Georges ne veut pas. Salvail insiste et l'ouvre. Une fille se déplie et en sort. C'est Dominique Michel! André-Philippe et moi, on se regarde en souriant. Ça fait trop longtemps qu'on ne l'a pas vue, notre Dodo. Il y a quelques mois, elle sortait d'un scanner, elle sortait de l'enfer, et la voilà qui, une fois de plus, sort d'une boîte à surprise. Comme dans tant de sketches, de spectacles et de Bye-bye.

Quand une personne est trop belle, le temps s'arrête pour la regarder. C'est ce qui arrive avec Dodo. Elle ne change pas. Même le cancer n'est pas parvenu à l'atteindre, à la vieillir. Le temps est trop pâmé. Il est figé.

Dodo tape du pied. Elle fait sa petite fille. Même sans la robe à froufrous et la perruque, on y croit. Dodo en t-shirt et en bermuda blancs, c'est une petite jeunesse aussi: «Bon, qu'essé qu'on fait, qu'essé qu'on fait?» Toujours la même énergie, la même fureur de vivre, la même passion d'enfant allumée.

Le metteur en scène s'approche: «O.K., c'est bon, on recommence!» Dodo dit: «Pas de problème, mais avant, faut que j'aille saluer mes p'tits gars.» Ses p'tits gars, ce sont les petits vieux que nous sommes, André-Philippe et moi. Faut dire que, en sa présence, on a le même âge qu'elle: 10 ans. Elle nous serre dans ses bras tendrement. Ça sent bon. Le Giorgio Beverly Hills, je crois. Mais pour moi, c'est le Dodo Montréal. L'odeur de la meilleure.

Je lui dis combien je suis content de la revoir. En bafouillant. Je bafouille toujours devant Dodo. Je suis comme Obélix devant Falbala. Foudroyé. Je finis par retrouver mes sens et avoir un discours presque intelligent, mais ça prend du temps. Et je reste ému, le coeur mou, attendri.

Je ne suis pas le seul à qui elle fait cet effet-là. Tous les gens dans le local de répétition sont sous son charme; André-Philippe, Éric, Daniel, Yvon, les scripteurs, les assistantes, tout le monde. On est tous autour d'elle comme des petits papillons autour d'une lumière. Éblouis.

Mais pas éblouis par sa puissance et sa célébrité de star, non: éblouis par sa délicatesse et sa vérité de femme. De jolie femme.

On est tous en amour avec elle. Parce qu'elle est un coeur sur deux petites pattes. Parce qu'elle ferait tout pour nous faire rire. Parce qu'elle est belle et bonne et que ça se sent. Encore plus que son Giorgio.

Elle est spéciale pour nous et chacun a la conviction d'être spécial pour elle. Et c'est vrai pour tout le Québec.

Des légendes d'amour, il n'y en a pas beaucoup...

Assez de diguidi-haha, Dodo retourne répéter. Elle entre dans la malle et en ressort au moins une dizaine de fois. Sans jamais se tanner. En se donnant toujours autant. En nous faisant rire chaque fois. Dodo est un spring. Dodo is a printemps!

En juillet 1990, j'étais dans une salle de répétition, comme aujourd'hui, pour un gala Juste pour rire, et Dodo roulait sur la scène en imitant Louise Lecavalier de Lalala Human Steps. Je n'en revenais pas de voir la comique de mon enfance toujours aussi folle.

Imaginez: 21 ans plus tard, c'est encore vrai.

Malgré les années et les peines, la petite noire a toujours en elle l'envie et le talent de nous rendre heureux.

Merci, Dodo, de nous permettre d'être toujours des enfants.

Mardi soir, sous les projecteurs, quand tu as bondi de ta malle, des milliers de personnes se sont levées pour t'applaudir. Et l'ovation n'arrêtait pas, tellement les enfants étaient contents.

Le bonheur est dans la malle. Et quand il en sort, ça fait du bien.

Ça fait du bien de savoir qu'il n'appartient pas au passé. Qu'il est toujours là. Présent, avec nous, malgré tout.