Vous êtes invité à un party du Super Bowl demain soir. Vous n'avez pas regardé un seul match de football de l'année. À vrai dire, le dernier match de football que vous avez regardé, c'est le Super Bowl de l'an dernier. C'était quelles équipes, déjà? Qui a gagné? Vous ne vous en souvenez plus. Pas grave. L'important, c'est le présent.

Demain, vous voulez avoir l'air de connaître ça. Vous voulez impressionner vos amis. Que tout le monde se masse autour de vous. Vous voulez être le champion de la soirée. Le brillant. La référence. Vous voulez être celui qui sait. La personne au-dessus de la mêlée. Comme toujours.

J'ai un truc. Il suffit d'apprendre un nom. Un seul. Je vous le donne: Ben Roethlisberger. Je sais que ce n'est pas facile à retenir, Ben Roethlisberger. C'est justement pour ça que vous aurez l'air d'une bolle au Super Bowl si vous arrivez au party en disant «Ben Roethlisberger». C'est le quart-arrière des Steelers de Pittsburgh, mais ça, vous n'avez pas vraiment besoin de le savoir. L'essentiel, c'est de prononcer son nom sans trébucher. Ben Roethlisberger, Ben Roethlisberger. Ça s'en vient. Il faut vous le mettre bien en bouche. Ben Roethlisberger, Ben Roethlisberger. Comme si c'était votre meilleur ami. Veux-tu une bière, Ben Roethlisberger? Aurais-tu 20 piastres à me passer, Ben Roethlisberger? Plus vous le direz avec aisance, plus vous aurez l'air d'un expert de football. Pas besoin de connaître par coeur le contenu de 12 encyclopédies sur la NFL comme Paul Houde, il suffit de dire Ben Roethlisberger. Ben Roethlisberger. Et la poudre est jetée aux yeux. Quoique, puisqu'il est question d'un joueur de football américain, ce serait plutôt au nez.

Le quart-arrière de l'autre équipe, les Packers de Green Bay, se nomme Aaron Rodgers. Mais pas besoin de le retenir. On n'épate pas la galerie en disant Aaron Rodgers. C'est trop simple. Des Rodgers, il y en a plein. Johnny Rodgers, Rodger Brulotte, Kenny Rodgers. Vous n'aurez pas l'air d'un initié. Tandis que Ben Roethlisberger, il n'y en a qu'un. Et il faut connaître le football pour savoir qu'il existe. L'illusion est parfaite.

L'apparence de la connaissance tient à peu de chose. Prenez la révolte en Égypte. La plupart de nos connaissances sur l'Égypte nous viennent d'Astérix et Cléopâtre. On sait les pyramides. On sait le sphinx. On sait le nez de la pharaonne. C'est à peu près tout. Il y a 15 jours, Moubarak, c'était Barack Obama quand il manquait de Viagra. Aujourd'hui, tout le monde parle de Moubarak comme si c'était Carey Price. Faut échanger Moubarak vite et loin. Si Moubarak s'en va, ça va être l'anarchie. Moubarak par-ci, Moubarak par-là.

Pour vous démarquer, pour avoir l'air plus savant que le chauffeur de taxi moyen, il suffit d'apprendre son prénom. Dites: Je pense vraiment que l'attitude d'Hosni Moubarak est condamnable. Tout le monde va arrêter de parler autour de vous. Et quelqu'un va oser afficher son ignorance en vous demandant: «Hosni qui?

-Hosni Moubarak, le dictateur de l'Égypte.

-Ben oui... Moubarak comme dans Moubarak.

- C'est ça, Hosni Moubarak.»

Du coup, vous allez avoir l'air d'un égyptologue. Roethlisberger et Hosni, ce sont les deux mots-clés du week-end. Question de péter plus haut que le trou.

Il existe plein de mots comme ça qui sont des raccourcis à l'éducation. Des stéroïdes de savoir. On les utilise et on est plus gonflé. «Nonobstant» en est un. Il y en a qui s'en servent tous les jours. Nonobstant où on va aller souper... Nonobstant, passe-moi le beurre.

Il y a plein de mots qui servent juste à rehausser son niveau de langage. Mais ça ne dure que l'espace d'un mot. L'instant suivant, l'utilisateur est démasqué. Nonobstant si j'aurais sorti avec elle...

C'est comme le «définitivement» des joueurs de hockey. Au lieu de répondre seulement «oui», ils répondent «définitivement». Le mot est plus long, ils ont quasiment l'air d'avoir fait une phrase.

Mais là, je vous mêle avec mes «définitivement», mes «nonobstant» et mon «Hosni». Demain, pour avoir l'air d'un expert, il suffit de prononcer sans bafouiller Ben Roethlisberger. Lundi, vous pourrez l'effacer de votre mémoire vive. Le sujet de conversation ne sera ni Roethlisberger ni Rodgers, ça va être les pubs du Super Bowl. Et ça, tout le monde connaît ça, Pepsi et Coca-Cola. Vous n'avez même pas besoin de regarder la partie pour les voir. Elles sont déjà sur le Net.

Bon Super Bowl, tout le monde! Que vous le regardiez vraiment ou que vous fassiez semblant!