Il y avait d'abord Bobino à 16h. Tout juste revenu de l'école, avec un jus de raisin et des biscuits au gingembre. À 16h30, c'était Le Major Plum Pouding, avec un drôle de petit garçon qui ressemblait à une fille et le sourire d'Yves Létourneau caché sous de grosses moustaches.

Puis, à 17h, on quittait l'enfance et on entrait dans le monde des adultes. Adieu les décors en carton-pâte de Radio-Canada, bonjour l'aventure! Il courait dans la forêt. Il enjambait les ruisseaux. Il se battait contre les ours, les Indiens et les Anglais. Puis il revenait au fort et embrassait même une belle fille... sur le front. Qui ça? Daniel Boone. Un héros. Un vrai.

 

Je me rappelle encore quand mon aîné de frère m'avait dit que Daniel Boone avait vraiment existé. Je ne le croyais pas. Aucun de mes héros n'avait vraiment existé. Tintin, Astérix, Michel Vaillant et Batman étaient tous inventés. Mais pas Daniel Boone. Il était de chair et d'os. Il faisait partie de l'histoire. Je suis allé vérifier dans l'encyclopédie. Mon frère avait raison. Daniel Boone, né en 1734, mort en 1820, explorateur américain, héros de la guerre de l'indépendance américaine. Respect.

Dès lors, Daniel Boone a joui d'un statut particulier dans mon imaginaire d'enfant. J'aimais Tintin, Astérix, Michel Vaillant et Batman. Mais j'admirais Daniel Boone. Et il était admirable. Fort et gentil. Il se battait tout le temps sans jamais être agressif. Et même si, tous les mardis, il devait défendre les colons de Boonesborough contre les attaques des Indiens, il ne haïssait pas les Indiens. Au contraire, son fidèle compagnon, le brave Mingo, était un Indien.

Je regardais Daniel Boone comme on regarde un documentaire. Comme si c'était un film tourné à l'époque. Sa femme, la jolie Rebecca, son fils, Israël, ils étaient tous vrais. Ils étaient tous dans l'encyclopédie. La guerre d'indépendance aussi. La trame de fond n'était pas une intrigue avec un pingouin et une femme-chat, c'était la naissance des États-Unis. La puissance mondiale qui venait de marcher sur la Lune avait débuté avec un coureur des bois. Mais quel coureur des bois!

Vous me direz qu'il y avait aussi à cette époque un autre héros télévisé qui avait vraiment existé. Et qui faisait en plus partie de l'histoire de mon pays, de l'histoire du Canada.

Je sais. Ça m'arrivait parfois de regarder Iberville, interprété par Albert Millaire. Mais jamais avec le même plaisir que quand je regardais Daniel Boone. Pourquoi? Parce que, dans Daniel Boone, les gens s'aimaient. Iberville, c'était bien fait, bien tourné, bien joué. Mais tout le monde était sérieux, solennel, froid. Tandis que dans Daniel Boone, la camaraderie était partout. Ça se sentait dès l'indicatif d'ouverture.

«Daniel Boone, c'est son nom, on le chante!»

Et on voyait Daniel Boone sourire à Mingo, trinquer avec le vieux Cincinnati, serrer sa femme dans ses bras et passer la main dans les cheveux de son gars. Aussitôt le danger évité, aussitôt l'ennemi battu, Daniel Boone célébrait avec ses amis. Iberville était un sieur. Daniel Boone était un papa. À 8 ans, on préfère les papas.

Et si c'était ça, la grande différence entre l'histoire des États-Unis et l'histoire de la Nouvelle-France? Les Américains s'aimaient et étaient prêts à tout pour rester ensemble. Nos héros à nous semblaient un peu coincés et bien seuls. Les États-Unis, un peuple bon enfant, des gens qui n'ont peur de rien tant qu'ils sont ensemble. Le Québec, un peuple d'enfants trop sages, des gens qui ont peur de tout, même d'être ensemble.

Tout ça pour dire qu'on est des milliers de Québécois à avoir eu Daniel Boone comme héros plutôt que d'Iberville. Parce que la fin était meilleure.

L'acteur Fess Parker, qui incarnait Daniel Boone, avait quelque chose de Jean Béliveau. Grand, dominant, protecteur et gagnant. L'homme parfait du cru des années 60. C'était un gars de bois, mais qui sentait l'eau de Cologne. Comme Ron Ely dans Tarzan, l'homme de la jungle aux ongles manucurés. Des héros hollywoodiens, propres et bons. Mais ça allait au-delà de l'image, dans le cas de Fess. Il avait vraiment l'air d'un bon jack. Ça paraissait dans ses yeux. On y croyait.

Il est mort jeudi. Et pour des millions de vieux ti-culs, c'est Daniel Boone qui vient de mourir. Notre héros. Qui nous a incités à penser un peu plus aux autres. À les aider. C'est à ça que servent les héros.

Et on l'a tous dans la tête, encore une fois. Elle risque d'y rester longtemps. Il a fallu 30 ans pour l'oublier, et voilà qu'elle nous revient, cette chanson des années heureuses...

«Le couteau à la main

Il fait son chemin

En explorant l'Amérique...»