Aller au musée, c'est comme aller à l'église. On baisse le ton. On avance plus lentement. On ouvre grand les yeux. On cherche un dieu. Et on trouve de l'art.

On arrête devant un tableau. On le regarde. On le laisse aussi nous regarder. Comme lors d'un premier rendez-vous. Parfois, ça ne clique pas. Il ne se passe rien. Aucun frisson. Aucune émotion. Pourtant, la dame à côté de nous semble en pâmoison. Ça nous chicote. On se demande ce qu'elle voit qu'on ne voit pas, ce qu'elle comprend qu'on ne comprend pas. Alors on change d'angle. On s'approche, on recule. On essaie fort. Mais on n'y arrive toujours pas. Ça ne nous touche pas. On se dit qu'on serait capable d'en faire du pareil. C'est la pire insulte qu'on puisse faire à une oeuvre. La descendre à notre niveau. On ne veut pas y voir nos limites. On veut qu'elle nous dépasse. On veut qu'elle nous étonne, nous élève. On veut qu'elle soit meilleure que nous. Comme notre blonde.

 

Parfois, ça arrive. On regarde un tableau et on voudrait monter dedans. Pas tomber dedans, monter. Il nous amène plus haut. Comme un avion ou une fusée. On voyage sans bouger. Juste à regarder des formes et des couleurs, notre esprit part. Dans les limbes. Comme à l'école quand on n'écoutait plus le professeur. On est ailleurs. Dans un paysage ou dans l'abstrait. On peut être des dizaines comme ça, tous alignés, à observer une peinture. Personne ne parle. Personne n'applaudit. Personne ne crie «Go, Picasso, go!»

Au musée, on trippe par en dedans. Chacun dans sa bulle. C'est comme une partouze de plaisirs solitaires. Chacun son rythme. Chacun son plaisir.

Oui, parfois, ça arrive: on regarde un tableau et on voudrait y vivre. On passe cinq minutes, 15 minutes ou une heure devant, puis on finit par se décider à aller voir les autres. Parce qu'on veut toujours tout voir. C'est notre côté rationnel. Mathématique. Il nous faut faire l'inventaire. Mais au bout du compte, il n'y aura que quelques pièces qui resteront imprimées dans notre tête. Dont on se souviendra. Dont on s'ennuiera. Et souvent une seule qui nous hantera. Tellement que, des années plus tard, dans une autre ville, dans un autre musée, il y aura un tableau d'un autre peintre qui nous fera penser à celui qui nous a tant marqué. Alors on l'aimera aussi, parce qu'il nous fait penser à lui.

Un musée, c'est comme une discothèque spirituelle. Une boîte de nuit de l'esprit. Une boîte de l'après-midi. Sans les spots et la boucane. Avec le silence remixé. On y va avec l'envie d'être séduit.

Entrer au musée, c'est comme entrer dans ses yeux. On passe nos journées à regarder sans voir. Les lieux et les gens défilent devant nous. Et nous, on est occupé à parler, à se défendre ou à attaquer. Et nous on est occupé à choisir, à vendre ou à acheter. On est occupé à penser à ce qu'on va faire plus tard, à ce qui va nous arriver. On remarque à peine le soleil. On remarque à peine les fleurs. C'est comme si notre oeil n'était jamais au foyer. C'est comme si notre oeil n'arrêtait jamais de tourner. De tout balayer.

On va au musée faire la mise au point de nos yeux. On va au musée mettre notre regard au foyer. On prend le temps de voir. On prend le temps de ressentir ce que l'on voit. C'est tout ce qu'on fait dans un musée. On regarde. On ne mange pas. On ne boit pas. On ne danse pas, même si la pièce est grande comme une salle de bal. On regarde. On regarde un tableau accroché sur un mur. Comme dans l'ancien temps. Le tableau est vraiment là. Il n'est pas virtuel. Et nous aussi, on est vraiment là, à le regarder. Ça ne peut pas être plus simple. Et c'est ce qui rend le moment si spécial. On n'est pas à Disneyworld. Il y a juste une toile sur un mur. Une image arrêtée. Et on s'arrête pour la regarder.

Regardez les gens dans les musées, les gens devant les tableaux, on dirait qu'ils sont accrochés eux aussi. Accrochés dans le vide. Tellement ils sont fixes.

On va au musée pour s'arrêter. On va au musée pour se recentrer. Le musée, c'est le spa de l'esprit.

C'est bien beau le jogging, le working, le spinning pour entretenir votre corps. Pour le garder en santé. Mais si vous voulez entretenir votre âme, lui enlever ses toxines, lui permettre de souffler, allez donc vous arrêter au musée aujourd'hui. Ça tombe bien, c'est gratuit. Et si vous êtes trop occupé, allez-y un autre jour, vous verrez, c'est pas cher, le bonheur.

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