C'était au temps où les joueurs de football prenaient des poses farfelues devant les photographes. Hal Patterson sautait très haut dans les airs en tenant un ballon du bout des doigts, comme s'il venait de réussir un attrapé spectaculaire. Sans casque, bien sûr. Les porteurs de ballon levaient une jambe et étendaient le bras comme pour tasser un plaqueur et sauter par-dessus.

Sam Etcheverry lançait le ballon en sautant à trois pieds du sol, ce qu'il ne faisait jamais pendant un match.

Dans les années 50, alors que le Canadien occupait les imaginations avec cinq conquêtes de la Coupe Stanley de suite, Sam Etcheverry et les Alouettes étaient presque aussi populaires. Mon père n'a jamais digéré les trois défaites des Alouettes en finale de la Coupe Grey (1954-55-56) contre les Eskimos d'Edmonton. Plusieurs années plus tard, il m'en parlait encore. Ah, ce con de Chuck Hunsinger qui avait échappé le ballon en fin de match...

Du Pays basque aux É.-U.

J'ai parlé avec Sam Etcheverry il y a environ un an. Il ne quittait plus tellement sa demeure de l'Estrie, trop affaibli. Il m'avait expliqué l'origine de son nom, typiquement basque.

«Mon père a immigré d'Espagne pour installer la famille au Nouveau-Mexique. Il était éleveur de moutons et comme il parlait espagnol, il a fait de bonnes affaires avec les éleveurs mexicains. Il parlait français aussi...»

Je lui ai demandé s'il avait côtoyé Maurice Richard, l'autre grande vedette sportive montréalaise du temps.

«Oui, quelques fois, dans des réceptions ou des tournois de golf.»

Et puis?

«Maurice était un homme qui ne parlait pas beaucoup...»

Sam Etcheverry, c'était aussi le bel uniforme blanc et rouge que les Alouettes ont ressuscité dernièrement et qui sera toujours, pour ma génération, le vrai uniforme des Alouettes, avec le casque ailé. À l'époque, Sam Etcheverry, qui n'a jamais remporté une Coupe Grey en tant que joueur, était considéré comme le joueur le plus excitant de la LCF. The Rifle, comme on le surnommait, animait une attaque aérienne comme on n'en avait jamais vu dans la LCF. Il a remporté tous les trophées importants et a été élu au Temple de la renommée en 1969.

Quand les Alouettes ont échangé Etcheverry et Patterson aux Tiger-Cats de Hamilton (1961) contre le quart Bernie Faloney et le plaqueur Don Paquette, Etcheverry, un homme orgueilleux, s'est dirigé vers les Cardinals de St.Louis de la NFL. Il a joué pendant trois autres années aux États-Unis.

La Coupe, enfin...

Sam Etcheverry a toutefois surpris les amateurs de sport locaux en gagnant la sapré Coupe à titre d'entraîneur-chef des Alouettes en 1970. Un championnat inattendu, une première Coupe pour Montréal en 21 ans.

Le bon vieux Peter Dalla Riva, tout jeune à l'époque, faisait partie de l'équipe. Il parle de Sam Etcheverry comme d'un entraîneur respectueux de ses joueurs et qui n'élevait jamais la voix.

«Je crois qu'on a remporté cette Coupe surtout à cause de lui. Il nous impressionnait beaucoup. On voulait lui faire plaisir. Quand j'étais adolescent à Hamilton, je sautais par-dessus la clôture du stade pour aller voir jouer Sam et Hal Patterson.»

On oublie que Sam Etcheverry a ensuite été brièvement président du Concorde, une équipe de football de triste mémoire. Un conflit interne entre lui et Joe Galat, le DG et entraîneur-chef, l'avait écoeuré. Il était retourné à son métier de conseiller financier tandis que Galat et le Concorde ont vite sombré dans l'oubli...

Un verre avec Sam

Son séjour avec le Concorde reste gravé dans ma mémoire. Le grand Sam, bel homme de carrure imposante et au charisme indéniable, avait invité le jeune journaliste de La Presse à aller boire un verre pour faire connaissance. Je ne me souviens pas tellement de la conversation, mais je me souviens qu'il était grand amateur et connaisseur de scotch. Je pensais plutôt à la tête que mon père ferait quand j'allais lui raconter mon aventure...

Sam n'était pas toujours un homme facile à côtoyer. Autoritaire et sûr d'avoir raison, sa vie est parsemée de drames personnels. Sa femme et son fils - qui a été quart-arrière au Collège Loyola, aujourd'hui Concordia - sont morts dans des circonstances tragiques. On le sentait parfois amer...

Samedi, à 79 ans, une légende du sport montréalais nous a quittés à la suite d'un long cancer.

Photo: archives La Presse

Le numéro 92, à l'époque où les joueurs de football prenaient des poses farfelues devant les photographes.