Même si on aime croire que le Québec tient mordicus à la laïcité, les débats que l'on a eus à ce sujet depuis une douzaine d'années laissent croire que l'on défend surtout une forme de « catholaïcité ». Comme si la laïcité, finalement, c'était surtout pour les autres.

Alors que la Ville de Montréal a décidé de retirer le crucifix de la salle du conseil de l'hôtel de ville pour le replacer dans un espace muséal, le gouvernement de François Legault aurait tout intérêt à s'inspirer de cette décision en replaçant le crucifix du Salon bleu de l'Assemblée nationale dans l'hôtel du Parlement, là où on pourrait mettre en valeur sa signification patrimoniale plutôt que religieuse.

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Le crucifix de l'hôtel de ville de Montréal est le « cousin » méconnu du très médiatisé crucifix de l'Assemblée nationale, comme l'a noté il y a quelque temps mon collègue Pierre-André Normandin. Il a pourtant à peu près le même âge et la même histoire.

C'est le 24 mars 1937 que la Ville de Montréal a autorisé que l'on débloque des fonds pour installer un crucifix « de dimension convenable » au-dessus du trône de la salle du conseil, nous indiquent les archives de la Ville. C'était à la suite d'une demande du conseiller municipal Joseph-Émile Dubreuil, un fervent catholique qui souhaitait que les échevins se souviennent de leurs serments prêtés à Dieu au moment de prendre des décisions.

Coût de l'opération : 25 $, puisés dans l'enveloppe des « dépenses imprévues » du budget municipal.

Une semaine plus tard, le crucifix était accroché au-dessus de la chaise du président et un abbé procédait à sa bénédiction à l'hôtel de ville de Montréal, nous rappelle une revue de presse de l'époque, distribuée hier aux journalistes. Lors de la cérémonie, le curé de Notre-Dame a félicité les échevins pour leur esprit chrétien et leur a promis que « l'ombre de la croix » leur serait profitable dans les moments d'inquiétude qu'ils traversent parfois dans leurs fonctions. Amen. Ainsi en était-il dans le Québec de l'époque. Quelques mois avant, en octobre 1936, à l'Assemblée nationale, Maurice Duplessis avait aussi fait placer un crucifix au-dessus du trône du président pour sceller l'alliance entre l'Église catholique et l'État.

Plus de 80 ans plus tard, il faut reconnaître que le contexte a changé. 

En point de presse, hier, la mairesse Valérie Plante et la conseillère Laurence Lavigne Lalonde, responsable des institutions démocratiques au sein de son administration, ont très bien expliqué les raisons pour lesquelles ce qui valait en 1937 à l'hôtel de ville ne tient plus la route en 2019. Elles ont aussi très bien expliqué comment on peut à la fois conjuguer la reconnaissance de la valeur historique du crucifix et la réaffirmation de la laïcité de nos institutions démocratiques.

Des institutions laïques, neutres et ouvertes ne sont pas amnésiques pour autant. D'où cette excellente idée de profiter des rénovations à l'hôtel de ville pour déplacer le crucifix de la salle du conseil dans un espace muséal, aux côtés d'autres objets importants du patrimoine montréalais.

Et la croix sur le mont Royal, alors ? Avant même qu'on ne lui pose cette question qui revient toujours quand il est question du crucifix, la mairesse Plante a eu la sagesse de prendre les devants. Que l'on se rassure, il n'est pas question de toucher à la croix du mont Royal. « Ce n'est pas une institution démocratique où on prend des décisions. Je pense que c'est vraiment important de faire la nuance. »

C'est en effet très important de rappeler ce genre de nuance dans un débat émotif et complexe où, malheureusement, d'un gouvernement à l'autre, la démagogie a trop souvent pris le pas sur la pédagogie. Alors que le rapport Bouchard-Taylor recommandait, au nom de la séparation entre l'État et l'Église et par souci de neutralité religieuse, que le crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale soit retiré et replacé dans un endroit où la valeur de sa signification patrimoniale serait mise en évidence, le gouvernement Charest ne s'est pas contenté d'ignorer la recommandation. Au moment de la publication du rapport, il s'est empressé de réaffirmer la place du crucifix à l'Assemblée nationale. Ses successeurs n'ont pas fait mieux, craignant sans doute de se mettre à dos l'opinion publique. Alors que bien expliquée, cette recommandation tombe sous le sens pour qui défend la laïcité.

Prudente dans ses déclarations, la mairesse Plante a pris soin de séparer la question de la laïcité des institutions et celle de la liberté de culte des individus, dans le contexte de l'épineux débat sur le port des signes religieux. Invoquant l'autonomie des gouvernements et des villes, elle s'est d'ailleurs bien abstenue de dicter sa vision des choses sur le crucifix à Québec, aux autres villes ou aux arrondissements. Mais à l'heure où le gouvernement s'apprête à déposer un projet de loi sur la laïcité, alors que le premier ministre ne ferme pas la porte à un éventuel retrait du crucifix, on ne peut que souhaiter que Montréal serve d'exemple.