Elle avait porté plainte pour agression sexuelle. Elle avait promis de m'en redonner des nouvelles.

La nouvelle est tombée comme tombent les bombes : il n'y aura pas d'accusations criminelles. C'était quelque temps avant que l'on apprenne qu'il n'y en aurait pas non plus dans 13 des 14 dossiers de plaignantes examinés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales dans le cas Gilbert Rozon.

Elle, c'est Andréanne Bissonnette. Étudiante en science politique. Femme en colère, dont l'histoire (aucunement liée au cas Rozon) fait écho à celle de trop nombreuses victimes qui se sentent abandonnées par le système. Des victimes à qui on dit : « On vous croit, mais... »

Il y a un an et demi, je vous avais raconté le début de son histoire. Je l'avais fait en préservant, à sa demande, son anonymat, afin de ne pas nuire à l'enquête, qui était alors en cours.

Son histoire, c'est celle d'une jeune femme qui, après trois ans de silence, avait finalement pris son courage à deux mains, en 2015, pour porter plainte à la Sûreté du Québec (SQ) pour un viol subi à l'âge de 18 ans.

Elle espérait alors se décharger d'un fardeau. Mais c'est tout le contraire qui s'est produit lorsqu'on l'a ballottée par erreur d'un poste de police à un autre jusqu'à ce qu'elle dépose finalement sa plainte à Richmond, en Estrie, non loin du chalet où, un soir, sa vie avait basculé.

Il se trouve d'excellents enquêteurs spécialisés en crimes sexuels. Malheureusement, Andréanne n'est visiblement pas tombée sur le meilleur de sa catégorie. Elle qualifie l'année de son enquête d'« année d'horreur avec un enquêteur qui ne devrait jamais avoir entre les mains un dossier d'agression sexuelle ». 

Elle avait eu l'impression qu'on l'avait traitée avec autant d'égards et d'empathie que si elle avait déposé une plainte pour un vol d'auto. Aucun encadrement. Aucun accompagnement. Aucune considération pour le traumatisme terrible qu'elle avait subi.

En comparant le processus d'enquête policière auquel Andréanne a été confrontée et les bonnes pratiques enseignées par des experts que j'ai consultés, j'avais été frappée par toute une série d'anomalies dans son dossier. Je n'étais pas la seule. De l'aveu même du capitaine Philippe Théberge, aujourd'hui à la retraite, qui était alors responsable du service de la coordination des enquêtes sur les crimes majeurs à la SQ, le processus d'enquête comportait « beaucoup d'erreurs ». Mea culpa, m'avait-on dit, en précisant toutefois que ce cas n'était représentatif ni du travail fait par l'ensemble des enquêteurs en agressions sexuelles de la SQ ni du travail normalement fait par l'enquêteur mis en cause.

« C'est un enquêteur pour qui on a des commentaires très positifs », me disait hier Martine Asselin, porte-parole de la SQ. Compte tenu des anomalies déplorées dans l'enquête qui nous concerne ici, elle croit que ce serait un excellent cas à soumettre au comité VOIE (comité de vérification et d'observation intersectoriel des enquêtes). Ce comité de révision des dossiers d'agressions sexuelles, inspiré du modèle de Philadelphie, a été mis sur pied il y a un an à la suite de la publication d'une enquête du Globe and Mail, qui révélait qu'une proportion importante de plaintes pour agression sexuelle étaient classées comme non fondées. « On a besoin de savoir ce qu'on peut faire de mieux. »

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Je disais qu'au moment de publier mes articles, Andréanne avait réclamé l'anonymat afin de ne pas nuire à l'enquête en cours. Aujourd'hui, alors qu'elle vient d'apprendre que tous ses efforts pour obtenir justice n'ont rien donné, elle tient à témoigner à visage découvert, dans l'espoir que sa prise de parole puisse nourrir la réflexion ravivée par le mouvement #moiaussi et contribuer à faire changer un système qui lui semble clairement défaillant. « J'ai besoin que tout cela ne soit pas arrivé en vain dans ma vie. »

Elle salue l'excellente idée de la porte-parole du Parti québécois (PQ) en matière de justice, Véronique Hivon, de mettre sur pied un groupe de travail qui réfléchisse à ces questions ainsi qu'à la possible mise sur pied d'un tribunal spécialisé pour les violences sexuelles ou conjugales. Elle souhaite que les élus travaillent ensemble de façon non partisane pour que les choses changent. « Sortir avec son beau discours de politicien pour dire : "Il faut déposer une plainte, il faut aller de l'avant, on vous croit", c'est une chose. Poser des gestes concrets, c'en est une autre. »

Après son « année d'horreur », Andréanne s'estime finalement chanceuse d'avoir été prise en charge par une procureure « qui était tout le contraire de l'enquêteur » et qui a veillé à ce qu'elle ait un suivi psychosocial avec un Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) - suivi qui, normalement, aurait dû être proposé d'emblée au moment où elle a déposé sa plainte à la police. Son dossier a finalement été fermé sans accusations, non pas parce qu'on ne la croyait pas, mais faute d'éléments suffisants pour établir une preuve hors de tout doute raisonnable et parce que celui qu'elle accuse de l'avoir agressée, qui habite maintenant en Europe, a refusé de donner sa version des faits.

Est-ce que l'issue aurait été différente si l'enquêteur avait mieux fait son travail ? Difficile à dire. Chose certaine, pour la jeune femme, il n'y a que peu de réconfort à se faire dire « on vous croit », si cela ne mène à rien. C'est même plutôt enrageant. 

« Si j'avais juste besoin qu'on me croie, j'ai ma famille et mes amis ! Si je me tourne vers l'appareil judiciaire, c'est parce que je considère qu'on parle d'un comportement déviant qui doit être puni ! »

Pour obtenir justice, elle a le sentiment qu'il lui aurait fallu être la « victime parfaite » qu'elle n'était pas. « J'ai été violée à 2 heures 30 de route de Montréal, sans permis de conduire pour me rendre à un hôpital après mon agression. J'étais également sous l'influence de drogues et d'alcool, et j'ai perdu conscience. Mais je sais que mon corps a été violé - et je sais que j'ai dit non, plusieurs fois. Malgré tout, je n'ai pas de témoin oculaire, pas de trousse post-viol contenant des preuves tangibles. J'ai attendu trois ans avant de déposer une plainte formelle. »

Andréanne regrette d'avoir porté plainte. Car au lieu de la décharger d'un fardeau, la démarche l'a revictimisée à chaque étape du processus. « J'ai été violée en 2012. J'ai revécu mon viol en 2015 lorsque j'ai dénoncé mon agresseur. Puis je l'ai vécu une troisième fois en 2016 lorsque j'ai enregistré mon témoignage. Et une quatrième fois en thérapie en 2017 pour me préparer à en reparler lors d'un éventuel procès. »

Lorsqu'elle a su que son dossier était abandonné, elle a eu l'impression de revivre son viol pour la cinquième fois - et, elle l'espère, la dernière fois. Elle a le sentiment amer de s'être infligé tout cela pour rien. « Dans mon cas, la seule chose qui me tenait, c'était de me dire que ça allait mener à quelque chose. »

Elle n'entend pas se laisser abattre pour autant. « Il ne me reste qu'à me relever - encore une fois - et à lui démontrer, à lui et à tous les autres qui ont cru que le corps d'une femme leur appartenait, que si en 2012 il a été plus fort que moi, je serai plus forte que lui tous les autres jours de ma vie à partir de maintenant. Et un jour, les victimes n'auront plus à être parfaites pour obtenir justice, car le système comprendra que les victimes parfaites, ça n'existe pas. »

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J'aimerais croire que cette histoire n'est qu'un cas isolé. J'aimerais croire que le système « fonctionne », comme l'a dit mercredi la ministre de la Justice Sonia LeBel. Je ne doute pas du fait que des gens ultracompétents, policiers, procureurs ou juges, travaillent très fort pour que justice soit rendue. Mais quand je vois que l'agression sexuelle est un crime sous-déclaré qui reste largement impuni dans notre société, quand je lis que seulement 3 agressions sexuelles déclarées sur 1000 se soldent par une condamnation, j'ai beaucoup de mal à croire que le système est adéquat. J'ai beaucoup de mal à croire que l'on ne peut pas faire mieux. Qu'est-ce qu'on attend ?