Pourquoi?

Après ce lundi effroyable à Toronto, c'est la question que l'on se pose en pleurant les victimes de la violente attaque au camion-bélier.

Pourquoi un jeune homme de 25 ans déciderait-il par un beau jour de printemps de foncer à toute vitesse sur des passants, semant la mort et la terreur?

Certains ont leurs réponses toutes faites, prêts à tordre les faits pour les faire entrer dans les petites cases de leurs préjugés. Pourquoi? Parce que l'islam, disent-ils en choeur, refusant de croire que le suspect n'est pas le terroriste islamiste qu'ils avaient déjà imaginé.

Comme dans de nombreux cas où le profil du suspect ne correspond pas aux scénarios écrits d'avance, des médias populistes n'ont pas hésité à s'inventer leurs propres monstres pour l'occasion. 

Plus de 24 heures après la tragédie, alors que les autorités canadiennes réitéraient qu'il n'y avait pas de lien avec la sécurité nationale, la chaîne américaine Fox News continuait de dire que les liens avec le terrorisme n'avaient pas été exclus. Fox News avait fait pire encore au lendemain de l'attentat de Québec : 24 heures après un démenti de la police, la chaîne continuait de relayer la fausse nouvelle voulant qu'un jeune Québécois musulman soit un des suspects. L'ennui, c'est que même lorsque ces fausses nouvelles finissent par être démenties, c'est trop peu, trop tard. Le mal est fait. Dans l'esprit de bien des gens, la fausse nouvelle restera leur vérité.

***

Pourquoi un jeune homme de 25 ans déciderait-il par un beau jour de printemps de foncer à toute vitesse sur des passants, semant la mort et la terreur?

Au-delà des réponses préfabriquées et des fausses nouvelles, l'une des hypothèses qui semble s'imposer au lendemain de la tragédie est celle de la maladie mentale. À la lumière des informations que nous avons sur le profil misogyne du suspect, c'est une piste qui, si elle se confirme, laisse en suspens de nombreuses questions troublantes.

Le suspect, accusé hier de 10 meurtres et de 13 tentatives de meurtre, semble avoir eu des liens avec des groupes de discussion misogynes. Alors que la police confirmait hier que la majorité des victimes de l'attaque au camion-bélier étaient des femmes, rien n'indique à ce stade-ci de l'enquête que le chauffeur les ait délibérément ciblées.

Il semble toutefois que l'accusé, Alek Minassian, comme Alexandre Bissonnette, s'intéressait à Elliot Rodger, l'auteur de la tuerie d'Isla Vista, en Californie, qui avait mis en ligne une vidéo misogyne avant de commettre son massacre. Une publication du compte Facebook de Minassian, mise en ligne juste avant l'attaque au camion-bélier, laisse croire qu'il s'associe aux «incels» - de l'anglais «involuntarily celibate» -, des hommes «involontairement célibataires» qui, comme le tueur d'Isla Vista, rendent les femmes responsables de leurs déboires amoureux et cherchent à se venger.

À la suite de la tuerie d'Isla Vista, en 2014, comme après la tragédie de Polytechnique, deux interprétations s'affrontaient quant au sens à donner à une telle tragédie. 

D'un côté, un courant de pensée dominant rangeait la tuerie d'Isla Vista dans la catégorie des actes isolés commis par un jeune homme souffrant de problèmes de santé mentale. De l'autre, des voix féministes faisaient valoir qu'un tel acte, aussi fou soit-il, était aussi symptomatique de phénomènes sociaux généralisés. Ne devrait-on pas s'interroger sur le terreau qui permet à une telle haine d'émerger? Sur les images de masculinité toxique valorisées par la société? Sur ce qui pousse des hommes à se sentir autorisés à punir des femmes si leurs besoins sexuels ne sont pas satisfaits?

En réponse à ceux qui, après la tragédie d'Isla Vista, disaient «pas tous les hommes» et mettaient l'accent sur l'acte de folie isolé du tueur, des femmes se sont mises à témoigner sous le mot-clic #YesAllWomen (#OuiToutesLesFemmes), illustrant à quel point la violence contre les femmes est généralisée et banalisée. «Bien sûr, #PasTouslesHommes sont misogynes et violeurs, écrivait une internaute. C'est pas le problème. Le problème est que #OuiToutesLesFemmes vivent dans la peur des hommes qui le sont.»

C'était plus de trois ans avant l'émergence de #metoo. Et de toute évidence, la perspective mise de l'avant par ces voix féministes est toujours aussi pertinente aujourd'hui.

Le même débat risque de ressurgir alors que l'on pleure les morts à Toronto en cherchant encore à comprendre les motivations de l'auteur de l'attaque meurtrière. Un débat douloureux où nous aurons tout intérêt à nous inspirer du sang-froid du policier torontois qui a arrêté le suspect plutôt que de dégainer nos peurs et nos certitudes avec fureur.