Des millions d'enfants n'ont pas accès à l'école dans le monde. Parce qu'ils vivent dans une zone de conflit, parce qu'ils sont nés dans un pays pauvre, parce qu'ils sont de sexe féminin, ils se retrouvent, de façon injuste et scandaleuse, privés de leur droit à l'éducation.

On aimerait croire qu'un tel scandale ne pourrait jamais se produire chez nous, dans un pays riche et en paix, qui s'est engagé à respecter la Convention internationale des droits de l'enfant. Et pourtant... Au Québec, aussi inimaginable que cela puisse paraître, il se trouve encore et toujours des enfants sans papiers privés de leur droit à l'école publique gratuite.

On ne peut blâmer cette fois ni la guerre, ni la misère, ni la misogynie. Non. Ici, des enfants ne vont pas à l'école... à cause d'un bête problème administratif. Des enfants sans papiers sont otages d'un système qui exige trop de papiers. Le problème devient vite insurmontable quand on a trois fois rien, que l'on ne connaît pas ses droits et que l'administration de l'école a elle-même du mal à s'y retrouver.

Si ce n'était pas aussi grave, on pourrait classer cette misère administrative dans la catégorie « First World problems » - expression ironique qui fait référence aux ennuis triviaux des pays riches et industrialisés. C'est malheureusement plus sérieux.

Il y a urgence, disait, en 2014, la protectrice du citoyen, après avoir mené une enquête sur le sujet. Urgence de permettre à tout enfant de fréquenter gratuitement l'école, sans égard à son statut d'immigration ou à celui de ses parents dont la demande d'asile aurait été rejetée. Le principal obstacle à leur inclusion ? Une définition. La définition réglementaire de la notion de « résident » qui donne droit à la gratuité scolaire en fonction de la citoyenneté ou de la résidence permanente canadienne.

Deux rentrées scolaires plus tard, malgré l'urgence, rien n'a vraiment changé. Le ministère de l'Éducation dit avoir réglé au cas par cas des dossiers portés à son attention. Certaines commissions scolaires affirment avoir mis en place des pratiques plus inclusives. Mais le problème fondamental demeure : plusieurs enfants d'immigrants, dont les parents ne sont pas considérés comme des résidents, se voient encore refuser l'accès à l'école publique.

« Il s'agit pour ces enfants d'un déni de leur droit fondamental à l'éducation. Cette situation est inacceptable », a écrit la protectrice du citoyen dans une lettre envoyée le 16 septembre au gouvernement.

Il suffirait pourtant d'un changement au cadre législatif et réglementaire pour que cette situation inacceptable soit chose du passé. Or, alors que l'ancien projet de loi 86 - qui n'a pas été adopté - proposait de s'attaquer à ce problème, rien dans le nouveau projet de loi 105 visant à modifier la Loi sur l'instruction publique n'est prévu en ce sens, déplore la protectrice du citoyen.

À défaut de faire les modifications qui s'imposent, le Québec reste un des rares États en Occident à limiter l'accès à l'instruction publique gratuite pour les enfants en situation d'immigration précaire. Une forme d'exception québécoise peu glorieuse.

Pour qui veut vraiment mettre en place des pratiques d'accueil plus équitables, la complexité administrative n'est pas insurmontable. L'Ontario et la Colombie-Britannique, où on trouve les deux plus importants pôles urbains d'immigration au pays (Toronto et Vancouver), sont arrivés à trouver des modèles inclusifs qui permettent aux enfants de ne pas être punis pour les choix de leurs parents. Nos voisins américains y arrivent aussi, pas tant par grandeur d'âme que pour des considérations comptables : on a compris qu'un enfant qui ne va pas à l'école finit par coûter beaucoup plus cher à la société. Pourquoi pas le Québec ?

Quand le ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, dit qu'il veut régler le problème, mais ne propose rien de concret pour y arriver et ne se fixe aucun échéancier, que faut-il en comprendre ?

Je lui ai posé la question vendredi. Les dispositions du défunt projet de loi 84 concernant la gratuité scolaire pour les enfants sans papiers n'ont pas été reprises dans le nouveau projet de loi parce qu'elles « n'allaient pas assez loin », a répondu le ministre. Il y avait là « de bonnes intentions », mais de « grandes difficultés d'application ». Ce qui ne veut pas dire que les bonnes intentions ont été abandonnées, assure-t-il. « Je suis interpellé personnellement par cette question. »

Alors quoi ? « Ce n'est que partie remise. À court terme », dit Sébastien Proulx, en précisant que son ministère a demandé entre-temps aux commissions scolaires d'offrir « de la flexibilité » et une « interprétation libérale » du règlement dans de tels cas.

« À court terme », c'est quand exactement ? « Je veux solutionner le problème cet automne », promet le ministre.

Pour tous les enfants sans papiers et sans école qui attendent depuis trop longtemps, il nous reste à espérer que l'automne ne soit pas trop long.