Je ne sais pas trop s'il faut applaudir ou décrier le jugement rendu cette semaine en faveur de ce couple homosexuel hispano-américain qui a fait appel à une mère porteuse thaïlandaise.

Le couple était bloqué en Thaïlande avec son bébé de 15 mois, né d'une mère porteuse à Bangkok. Après la naissance, la mère avait refusé de signer les papiers permettant au couple de quitter le pays avec l'enfant. Elle aurait changé d'avis lorsqu'elle a su que les parents étaient homosexuels. Les parents l'ont poursuivie. Le verdict est tombé mardi : « Pour l'intérêt de l'enfant, seul le plaignant aura maintenant la garde exclusive de l'enfant. »

Je ne sais pas trop s'il faut applaudir ou décrier ce jugement. Car d'un côté, il est bien sûr rassurant d'entendre un juge dire haut et fort que « l'homosexualité n'est pas un obstacle à l'éducation de l'enfant ». De l'autre, cela n'efface pas les dérives éthiques liées à la gestation pour autrui. Un pas en avant pour les droits des homosexuels. Un pas en arrière pour les droits des femmes.

L'ennui, c'est que l'on a souvent tendance à confondre tous ces enjeux. On l'a vu il y a deux ans avec la controverse soulevée par le recours de Joël Legendre à une mère porteuse dont les traitements avaient été remboursés par l'État. Le débat sur les dérives éthiques associées à la gestation pour autrui commerciale est souvent vu à tort comme un débat sur l'homoparentalité.

Or, il ne s'agit en aucun cas de remettre en question l'homoparentalité.

Les études sont claires à ce sujet : les enfants élevés par des parents homosexuels ne se portent pas plus mal que ceux qui sont élevés par des parents hétérosexuels.

Quand je parle de « dérives éthiques », je pense plutôt aux dérives liées à la commercialisation du corps humain qui guettent autant les homosexuels que les hétérosexuels ayant recours à la gestation pour autrui. Je pense à la logique d'exploitation du tourisme procréatif qui fait en sorte que des femmes de pays pauvres portent des enfants pour des couples de pays riches. Je pense à ces bébés considérés comme des marchandises dont on se débarrasse à la moindre « défectuosité », comme on rapporte un grille-pain ayant un défaut de fabrication.

Ma collègue Isabelle Hachey citait lundi des histoires d'horreur qui font frémir (et qui ont mené au resserrement des règles entourant la gestation pour autrui commerciale en Thaïlande). Il y a ce millionnaire japonais qui a eu 16 enfants grâce à des mères porteuses thaïlandaises. Si on ne l'avait pas arrêté, il aurait voulu en avoir de 10 à 15 par an, jusqu'à sa mort... Et que dire de ce couple australien qui a abandonné un bébé trisomique à sa mère porteuse pour ne repartir qu'avec sa soeur jumelle, qui n'était pas atteinte de la même anomalie chromosomique ?

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« C'est comme si t'achetais un vêtement, tu te rends compte qu'il y a une maille, tu le ramènes... Non ! On est vraiment dans le commerce humain. Et éthiquement, ça n'a pas sa place », affirme Ian Yaworski.

Ian est un artiste montréalais de 34 ans. Il est en couple depuis cinq ans avec Philippe Meunier, artiste lui aussi. Ils font partie de ces hommes homosexuels qui veulent avoir des enfants. Et bien qu'ils respectent le choix de ceux qui ont recours à une mère porteuse, ce choix n'est pas le leur. « Pourquoi "acheter" un enfant quand il y a tellement d'enfants dans le monde dans le besoin ? » demande Ian. « Ça peut t'emmener sur un terrain extrêmement glissant où tu ne veux pas aller. »

Philippe a toujours su qu'il voulait avoir une famille. « Ça sied bien à mes valeurs. Le don de soi. L'entraide. Faire une différence dans la vie d'un enfant. »

L'adoption s'est imposée à Ian et Philippe comme la meilleure façon de réaliser ce rêve. Pas l'adoption internationale, car les homosexuels sont exclus d'emblée de la plupart des pays. Et même si ce n'était pas le cas, le projet demeurerait inaccessible pour un couple d'artistes aux revenus modestes. Adopter à l'étranger coûte cher.

Ian et Philippe se sont donc tournés vers l'adoption au Québec. Et ils sont heureux de l'avoir fait.

Il y a deux ans, ils ont appelé pour s'inscrire sur la liste d'attente du programme de banque mixte de la Direction de la protection de la jeunesse. Le processus d'évaluation est long et rigoureux. Les parents qui veulent adopter un enfant doivent passer une batterie de tests médicaux et psychologiques, fournir un certificat de bonne conduite, suivre des cours de premiers soins, etc. Si tous les parents biologiques devaient faire la même chose pour avoir le droit d'élever des enfants, combien réussiraient le test ?

Près de deux ans plus tard, Ian et Philippe n'ont pas encore transformé le bureau de leur appartement en chambre d'enfant. Ils ne savent pas encore quand le jour J arrivera. « Ça pourrait être d'ici deux ans. »

Loin de s'en plaindre, Philippe trouve au contraire le processus très sain et instructif. Les enfants à adopter ont souvent été victimes de négligence ou de maltraitance. Il est normal que l'on s'assure de les confier à des parents qui sont assez forts psychologiquement pour les accueillir. « C'est correct que ce soit long. Il faut prendre les bonnes décisions. Ça va littéralement transformer nos vies. »

Je les ai salués comme on salue une femme qui est sur le point d'accoucher. Deux futurs parents au regard brillant qui parlent de l'enfant qu'ils sont déjà prêts à aimer. Deux pères porteurs d'espoir.